La lutte pour les droits civiques, consécutive à l’abolition par voie légale de la ségrégation, l’un des épisodes parmi les plus douloureux de l’histoire américaine, là où sera amené à se battre un certain Dr. Martin Luther King. Selma, du nom de cette bourgade d’Alabama d’où est partie la marche de protestation, en direction de la capitale de l’état, menée en vue d’une capitulation politique de l’administration Johnson, en plein bourbier vietnamien. Selma, le film, signé Ava DuVernay, réalisatrice somme toute peu expérimentée, tient du récit historique avant toute chose. Film à la fois académique et vertueux, il n’en reste pas moins un exercice plutôt soigné, un long-métrage rigoureux qui ne surchauffe jamais, qui se caractérise de par une vision très protocolaire, très méticuleuse des évènements. Ceci n’est en rien le biopic attendu par certain de Martin Luther King, noble combattant moraliste de sa cause, prix Nobel de la paix et habile tacticien qui parvint à convaincre l’opinion public sans jamais faire usage de la violence.
En centrant son récit sur la marche de Selma, l’émergence sur la scène américaine ainsi que la mort de King ne sont pas d’actualité, Ava DuVernay tisse soigneusement un film à forte consonance politique, exclusivement politique. Oui, le président Lyndon Johnson, incarné avec une certaine classe par Tom Wilkinson, en serait presque aussi important que le personnage central, un Martin Luther King très convaincant, quoique archétypal, interprété par David Oyelowo. L’enjeu dépasse ici clairement l’intérêt de dresser un portrait simpliste du célèbre militant, fait louable, qui fait de Selma un tout autre genre de film que, notamment, le majordome de Lee Daniels, drame sirupeux, nauséabond tant teinté d’une bien prestance, d’une guimauve insupportable. Non, ici, Ava DuVernay parvient à esquisser le contour d’un illustre personnage, de plusieurs personnages, pour ne se concentrer, en substance, que sur les faits.
Peu passionnant, dans un premier temps, du fait peut-être d’une connaissance de l’histoire, la précipitation des évènements, durant la seconde moitié du film, pousse le public à ne rien lâcher. La toute belle séquence de confrontation entre civils et force de l’ordre sur un fameux pont de Selma marque le départ réel d’un film qui manquait, jusqu’alors, de mordant, de dynamisme et d’une certaine humanité. Oui, si le choix narratif est probant, difficile pourtant de ne pas voir en chacun des personnages un instrument, un rouage politique déshumanisé. Lorsque toute l’humanité d’une situation délicate, moralement, politiquement et humainement, éclabousse tout un pays, le film devient du même coup plus probant, vivant. On regrette qu’il faille alors attendre les deux tiers de la bobine pour ce sursaut.
Film historique élaboré avec sérieux, avec rigueur, Selma n’a alors pas à rougir face à une concurrence féroce. Ava DuVernay démontre par ailleurs un savoir-faire probant en termes de mise en scène, en termes de direction d’acteurs. Bien que les discours sirupeux soient légions, il convient d’admettre que les dialogues sont savamment écrits, que les comédiens sont rigoureusement concernés par le projet et que la réalisatrice a su, en dépit d’un certain manque d’expérience, transformé ce bras de fer politique en spectacle certes académique mais toujours intéressant. 13/20