Selma, ça vous dit quelque chose ? Vous allez me dire que oui, que c’est le titre du film. Oui, certes mais non. Je vous parle de la ville… Non, ça ne vous dit rien ? Et si je vous dis l’Edmund Pettus Bridge ? Toujours rien ? Allons allons, réfléchissez… Bon ok, alors si je vous dis Martin Luther King ? Aaah tout de suite ça va mieux, hein… ben vous êtes comme moi : instruits, mais sans plus, les souvenirs de l’éducation nationale étant loin. Eh bien sachez que la ville de Selma a été le théâtre d’une grande bataille que cet homme mena pour faire respecter les droits civiques des noirs aux Etats-Unis. Cet homme, lauréat du Prix Nobel de la paix en 1964 pour sa lutte pacifiste en faveur du peuple noir américain, est une figure incontournable concernant ses semblables, dans la lignée de Lincoln (personnage traité tout récemment pas Steven Spielberg en 2012) et de Malcolm X (personnage évoqué par Spike Lee en 1993). Oui, Martin Luther King est une grande figure clérico-politique, assassiné un 4 avril 1968, alors qu’il n’avait que 39 ans. Pour interpréter un homme de cette envergure et à l’immense charisme, il fallait un acteur qui se donne à fond. Cet acteur se nomme David Oyelowo et sa prestation est tout bonnement exceptionnelle. Non seulement il a pris les attitudes de l’homme, mais aussi sa diction (on remarquera d'ailleurs l'immense qualité des dialogues). Pire : il ne joue pas le rôle, il en est habité. Totalement concerné et impliqué, il donne force et aura à son personnage, avec beaucoup d’intensité et de dignité, sans jamais en faire trop. Bien qu’il porte tout le film sur les épaules, l’ensemble du casting est lui aussi parfait, tant et si bien que "Selma", à des années lumières des films à grand spectacle, suscite bien des émotions. Chers lecteurs, chères lectrices, pour ceux qui ont vu "Mississippi burning", vous vous souvenez sans doute des états d’âme de fou par lesquels vous êtes passés. Ici, il en sera de même : vous passerez de l’état de désolation à celui de la colère, pour ne pas dire la rage, ou pire la haine, en passant par le sentiment de honte, de furieuse révolte, car nous ne pouvons qu’être scandalisés par ce dont est capable l’être humain, mais aussi par l’attentisme des grands dirigeants politiques. Car certaines scènes sont dures à regarder, tant il y a de la violence de la part des blancs vis à vis de la communauté noire. C’est carrément impensable, insupportable, impardonnable. Mais c’est aussi ce panel d’émotions que nous attendons du cinéma. Et pour cela, je crois qu’on peut féliciter la réalisatrice Ava DuVernay, qui signe ici une réalisation certes assez classique mais impeccable, fidèle au déroulement des faits, en faisant preuve d’une grande rigueur, alors que s'attaquer à un tel sujet est un sacré pari si on considère de quelle manière ce pasteur a inscrit son nom dans la postérité. Rien n’a été oublié : les brimades de l’homme blanc, jusqu’au fonctionnement des hautes sphères politiques (jusqu'au Bureau Ovale), en passant par les agissements de la police et par une justice à deux vitesses. Le résultat fait que le spectateur ne peut qu’adhérer complètement à cette cause, une cause qui n’est qu’un pan de la vie de Martin Luther King, mais une cause qui semblait être la vraie raison de vivre de ce révérend, une cause qui n’est qu’un pan de l’Histoire parmi tant d'autres. De plus, "Selma" a été argumenté par des images d’archives, intégrées au triste épisode du pont Edmund Pettus, pour appuyer la véracité du propos, ce qui en fait une œuvre qui pourra être intégrée dans le cursus scolaire dans le cadre du programme relatif à cette période. Car non seulement ce film est très immersif, mais en plus il est instructif, et je pense sincèrement qu’il aurait mérité pleinement son Oscar comme meilleur film. C’est donc sans aucun ennui qu’on arrivera au générique de fin, lequel a la riche idée de nous présenter une galerie de photos du film, dont on appréciera la qualité des clichés, et qui nous fera prendre la mesure de l’implication de chacun des acteurs, qu’il soit un grand nom ou un simple figurant. Je trouve seulement dommage que ce diaporama soit accompagné d’un titre R’n’B, pas vraiment en concordance avec l’époque, bien qu’il comporte quelques notes de gospel. Nul doute que "Selma" est devenu et restera une réalisation majeure de la réalisatrice Ava DuVernay. En tout cas, c’est un film à découvrir absolument, ne serait-ce que pour se rappeler…