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    Blue
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    trineor
    trineor

    191 abonnés 33 critiques Suivre son activité

    4,0
    Publiée le 4 février 2016
    On pourrait songer à première vue que de la musique hypnotique et des voix off sur écran bleu, c'est au mieux une émission de radio artistique, mais en aucun cas du cinéma. C'est ce que je me disais en tout cas : autant je voulais bien me prêter au jeu de l'écoute, autant je répugnais pas mal a priori à considérer ça comme un film, et je me disais que fixer un écran bleu à la longue, ça risquait de s'avérer d'un intérêt limité. Bah en fait, non.

    Déjà, je n'aurais sincèrement pas cru dire ça, mais 1h15 sans la moindre image, j'ai été captivé tout du long et j'ai l'impression d'avoir plus d'images imprimées dans mon esprit que dans l'écrasante majorité des films que je regarde. Blue, c'est un appel permanent à l'imagination ; en tant que "film aveugle", ça n'est même que ça : on ne voit rien, donc il y a tout à se représenter. La voix de cet homme alité - lui-même privé de la vue, ou voyant plutôt défiler devant ses yeux des formes et des couleurs irréelles parce que ses rétines sont abîmées par la maladie - décrit ses sensations, ses pensées, ses souvenirs... c'est tantôt simplement narratif, descrip-tif ou réflexif, tantôt d'une intense poésie. Et dans les moments de poésie, il faut dire ce qui est : c'est juste sublime.

    Après, c'est quand même très mortuaire comme expérience.
    On comprend assez rapidement que la fin du film va solder le décès du narrateur, et quelque part faut quand même le vouloir, d'accompagner jusqu'à sa mort un homme dont on touche la sensibilité de si près, au plus intime... Je dirais que si l'on prend l'œuvre au sérieux et que l'on sait dans quel état de santé Derek Jarman l'a réalisée, c'est même éprouvant moralement, et qu'on se sent assez déplacé à émettre des jugements d'ordre esthétique sur les dernières impressions d'un mourant. Il y a ces passages sur l'homosexualité et le sida, ou encore cette longue descrip-tion clinique de son corps détruit par la maladie, qui ont des airs d'intrus, qui rompent la poésie planante du film ; sauf qu'à le regarder autrement, on s'en veut de n'attendre que de la poésie planante, comme si l'expérience personnelle du poète n'avait pas sa place, qu'elle était quelque chose d'indiscret qu'il faudrait cacher.

    Rentrer dans le film, c'est faire le choix de s'enfoncer vers la mort avec lui.
    Et ça a sa part physique, qui est âpre, douloureuse, désenchantée... mais ça a sa part spirituelle aussi, qui pour le coup est réellement lumineuse - mélancolique bien sûr mais magnifique. « Blue is darkness made visible », répète Jarman ; et c'est vrai que ce monochrome bleu, à force de le contempler, prend vie comme s'il venait remuer depuis les profondeurs. Au bout d'un moment, j'avais l'impression de voir, très indistinctes mais bien là, des masses mauves ou bleu sombre, des espèces de corps fantômes se déplacer dans l'écran ; manifestement rien de plus que l'effet prolongé du bleu sur mes yeux, sauf que par là même, le film donne à partager de la façon la plus directe possible l'expérience sensorielle du narrateur ; et ça, c'est quand même très fort.

    Arrivant vers la fin - que l'on sent arriver, parce que le rythme est sous-pesé comme celui d'une musique - j'en étais rendu à me dire : "maintenant tu vas mourir ? non, ne meurs pas !" Et là, en guise d'adieu, lui, il t'offre les plus belles lignes de tout le film : « Kiss me on the lips, on the eyes. Our name will be forgotten, in time. No one will remember our work. Our life will pass like the traces of a cloud, and be scattered like mist that is chased by the rays of the sun. For our time is the passing of a shadow, and our lives will run like sparks through the stubble. I place a delphinium, Blue, upon your grave. »

    Dédié, je cite, à « H.B. and all the true lovers ».
    C'est bouleversant, de s'en aller comme ça en n'ayant rien que de l'amour à donner.
    gimliamideselfes
    gimliamideselfes

    3 096 abonnés 3 969 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 27 février 2014
    Je m'en veux et pour plusieurs raisons. La première évidente c'est d'avoir mis des sous-titres pour voir ce film, s'il y a bien un film où ça va gâcher l'expérience visuelle c'est ce film là, mettre des mots en blanc sur ce bleu c'est un peu de l'hérésie. La seconde raison pour laquelle je m'en veux c'est que forcément si je veux suivre ce qui se dit, bien que je sois anglophone, j'ai quand même besoin des sous titres surtout lorsque comme ici c'est plus de la poésie qu'autre chose (le texte est juste sublime). L'autre raison pour laquelle je m'en veux c'est que par moments j'ai tenté de m'imprégner du film sans lire, juste avec le son de la voix et le bleu de l'écran. Et enfin la dernière raison pour laquelle je m'en veux c'est de ne pas avoir tenté l'expérience pure sans rien comprendre de ce qui se raconte.

    Bien sûr tout ceci est contradictoire, mais ce n'est en rien la faute de l'auteur.

    Franchement si je vous propose un film avec que un écran bleu et des voix off dessus vous allez rire et partir en courant, normal, j'ai eu la même réaction en voyant le film sur youtube, j'ai parcouru vite fait et je me suis dit que je n'avais aucune raison de le voir, pas de visuel, pas d'intérêt peut-on penser.
    Et vu qu'il fallait malgré tout que je le voie je me suis procuré une bonne copie, sous-titres pour comprendre, etc.

    Bordel, c'est quelque chose. Si on peut reprocher une chose au cinéma c'est que ça ne fait pas travailler l'imagination de son spectateur, on lui donne tout, tout de suite, rares sont les films qui parviennent à utiliser l'imagination et lorsqu'ils le font c'est en général de la métaphysique ou bien par le truchement du hors champ. Or là, tout est en hors champ, on ne voit rien. Et vous savez quoi ça reste plus du cinéma que tout ce que nous vomit Hollywood dans la bouche.

    Godard disait que si on filme l'invisible on fait du cinéma et là de l'invisible il n'y a que ça, mais que ça. Pourquoi ? Parce que à l'instar de Shirin (que je recommande aussi) c'est à nous d'imaginer ce qui se passe, on se fait notre propre texte du lecteur (normalement propre à la littérature), on imagine la scène à partir de la description et la voix off, son intonation (car elle n'est pas si monolithique qu'on pourrait le croire), la musique, la bande son en général font le reste.

    Mais mieux encore, on s'imagine donc ce qui se passe, les lieux, les actions, mais ça n'en fait jamais trop. On n'est jamais dans le misérabilisme le plus total, on est dans la retenue et c'est ça qui en fait un film émouvant. Et en même temps un bien meilleur film que Dallas Buyers Club sorti récemment parlant aussi du Sida, parce que là le réalisateur est réellement sur le point de mourir du Sida, il ne fait pas semblant, comme tous les séropositifs ne font pas semblant, contrairement à McConaughey. C'est ça qui est touchant, c'est que c'est authentique.

    Et la forme du film devient juste un trip hallucinatoire extrêmement beau et poétique.
    Comme je le disais en introduction je n'ai pas forcément tout écouté, j'ai tenté par moment juste de m'immerger dans le film dans l'ambiance qu'il propose. Il est évident que c'est à voir au cinéma (si un cinéma daigne bien passer ça).

    C'est vraiment une expérience totale et qui contrairement à beaucoup d'autres films n'oublie pas l'essentiel : l'émotion (pour paraphraser Fuller dans Pierrot le fou).

    Je veux quand même répondre à la question que tout le monde doit se poser : est-ce-que c'est chiant ? parce que oui, il ne faut pas se mentir c'est ça qui va rebuter les gens à aller le voir. Pour tout dire à la fin je ne voulais pas que ça s'arrête, car l'arrêt du film signifiant la mort du narrateur. Mais on ne va pas se cacher que ce n'est pas forcément le film le plus facile d'accès, le plus divertissant du monde, mais ce n'est pas une raison pour le bouder tant il a des choses à offrir par la radicalité de son dispositif et sa puissance émotionnelle.

    Bref c'est un putain de grand film.
    Kiwi98
    Kiwi98

    266 abonnés 238 critiques Suivre son activité

    5,0
    Publiée le 16 juin 2015
    Il y a des films qui se ressentent,
    Des films qui nous font vivre des moments inoubliables,
    Des films qui se vivent,
    Des films qui sont les oeuvres d'une vie,
    Des films qui libèrent,

    « Blue », c’est une expérience invisible, une lumière jaillissante des tréfonds de la mort, un film simple, au contexte particulier, un testament, celui d’un avant-gardiste.

    Une triste mélodie, un voyage, une déclaration, un intime chuchotement, un puissant cri, une ode, la beauté, la mort… « Blue », c’est l’histoire d’un dernier souffle, un dernier souffle d’une puissance colossale qui met un voile sur le visage du cinéma. Dans « Blue », on ne voit rien, sauf le reflet de notre imagination, l’imagination qui façonne l’art, comme la lecture d’un recueil de poésie. Jarman nous fait imaginer les scènes, les décors sous une musique planante et éclatée, offre sous le coup de la mort son intimité, sa façon de voir la vie.

    « Blue » est un poème des plus tristes, une expérience, déroutante, sombre et belle. Un dernier chant, une photographie du ciel. Le bleu, cette couleur maudite qu’un homme a choisi pour illustrer sa vie en toute honnêteté, comme une déclaration d’amour forte et sublime, une mise en forme des traits de la mort, un clin d’œil à la peinture. « Blue » est un rêve, un rêve qui dépeint le paradis, « Blue » est un rêve à l’image monochrome, une vie immobile, une allégorie de ce que c'est d’être vivant. Avec « Blue » Jarman forme et déforme, donne à l’art du théâtre une définition des plus parfaites, un art brut, un requiem mélancolique, marquant au fer rouge, un saut dans l’imagination qui fait le vide de l’esprit sous ces notes de piano.

    Un mystère, des larmes, un sommet audacieux, innovant, d’une beauté sans nom, sans forme, sans attache, sans corps, mais une âme libre. Un écrin qui abrite une émeraude, un silence confus, libre, un cri stable et patient, non dépeint de récits énigmatiques et des grâces absolues. Car finalement, pourquoi vivre, pourquoi mourir ?

    Ici nous ne sommes pas dans la retenue, ni dans le convenu, et c’est pour cela que « Blue » est un orgasme émotionnel, ne prétendant pas plus que d’être ce qu’il est, un voyage hallucinant et poétique, à la poésie justement hallucinante, un film invisible sur l’invisible, une réflexion intense et cohérente, la beauté à l ‘état pur.

    Finalement à la fin, on a juste envie de continuer l’aventure, de rechercher la beauté, à rechercher nos sens après que ces derniers aient implosé. Car le dernier mot n’est qu’une métaphore de la mort du narrateur.

    Juste.
    weihnachtsmann
    weihnachtsmann

    1 188 abonnés 5 196 critiques Suivre son activité

    3,0
    Publiée le 26 juillet 2017
    Il y a des expériences extrêmes dans le cinéma et évidemment ici la poésie devient corps avec la couleur. On pourrait facilement comparer cette expérience cinématographique avec un opéra de Glass. Les sons pénètrent en nous par le biais de sensations presque subliminales. Et l'on se surprend à rester plusieurs heures en hypnose presque. Le film n'est pas moins qu'une peinture où tout devient possible puisque rien n'est suggéré.
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