Kiefer Sutherland devant une caméra à l'épaule qui ne cesse de trembler ? Non, ça n'est pas un épisode de 24H Chrono, mais le dernier film de Lars Von Trier. Non ça n'est pas 24H Chrono puisque Kiefer ne sauve pas le monde, incapable de faire quoi que ce soit pour ne serait-ce que sauver les siens. Film-catastrophe dans lequel tout est perdu d'avance ( dès le prologue, on sait que ça finira mal et que dès lors, les personnages du film seront confrontés à un Destin tragique et que rien ni personne ne leur sera d'aucune aide ), donc film anti-hollywoodien, Melancholia est une oeuvre à la morosité et au cynisme sincères. Comme si c'était sa façon à elle de s'opposer à Hollywood où les bons sentiments et la niaiserie sont légion : puisqu'il faut montrer la vie telle qu'elle est - et surtout pas une vie fantasmée par le prisme cinématographique censé plaire au grand public - alors, Lars Von Trier montre la vie telle qu'elle est, ou du moins, telle qu'il la vit lui-même ( son état régulièrement dépressif n'est plus un secret pour personne ). Dans Melancholia, il faut détruire tout les faux-semblants, et l'institution du mariage semblait la plus apte à un tel court-circuitage du bonheur factice. Derrière les apparences il y a des émotions vraies : derrière un bonheur qui n'est qu'illusion, il y a des sentiments qui ne mentent pas sur ce qu'ils sont. Ca n'est pas un hasard si le personnage de Kirsten Dunst travaille dans la pub, univers construit sur le faux et le mensonge, et surtout, matérialiste au possible. Le film va alors être une opération d'auto-sabotage ( de la même manière que Lars Von Trier s'est auto-sabordé en conférence cannoise ), celui du personnage de Justine : alors qu'un avenir brillant lui tend les bras - une promotion, un mari - elle envoie tout valser. La fastuosité du château du film dissimule des zones d'ombre éclairées par Melancholia, et le film joue sur une opposition dichotomique entre Justine d'un côté et le reste des personnages de l'autre. Peu subtil oui, mais après tout la subtilité n'a jamais été l'affaire de Lars Von Trier, metteur en scène dont les films jouent souvent sur un mécanisme d'affrontement plus symbolique qu'autre chose : le bien d'un côté, le mal de l'autre. La peinture pessimiste du monde est sûrement le point fort d'un film qui, par ailleurs, a ce désavantage paradoxal d'être dans le respect formel du style de son auteur.
Le problème du film réside là, précisément dans sa mise en scène. C'est que la caméra à l'épaule et le style mouvementé du film semblent difficilement s'accorder à son sujet. Les héroïnes fortes, engagées et jusqu'au-boutistes des précédents films de Von Trier ( on pense à la Grace de Dogville ou à la Selma de Dancer in the Dark ) s'inséraient parfaitement dans la mécanique formelle du cinéaste. La rage qui les habitait - rage calme et discrète, mais rage sans aucun doute - s'accordait à la mobilité de la caméra et au style adopté. Mais ici, la mise en scène semble n'être rien d'autre qu'un contresens, une anomalie qui perturbe l'harmonie entre fond et forme. On n'imagine pas In The Mood For Love filmé comme Les Anges Déchus, ni Les Anges Déchus filmés comme In The Mood For Love. Le problème ici, c'est que Lars Von Trier filme Melancholia comme Dogville. Mais la matière calme et douce du film, sa profonde mélancolie personnifiée par Kirsten Dunst, ne peuvent être décrites et filmées de cette façon abrupte et rentre-dedans. Dès lors, et malgré son talent, Kirsten Dunst peine à insuffler une intensité à son personnage, aucunement aidée par celui qui la regarde. Capable de magnifier ses actrices et d'en révéler la beauté cachée - beauté morale plus que physique, on n'a besoin de rien ni de personne pour s'apercevoir que Dunst est sublime - Lars Von Trier ne parvient pas dans Melancholia à faire jaillir l'invisible. Au début de l'année, un film commençait de la même façon que Melancholia : dans Somewhere, Coppola filmait une voiture qui tournait en rond. Von Trier filme lui une voiture qui, de la même façon ou presque, n'avance pas. La différence est que les deux heures qui suivent sont subtiles chez l'une, lourde et peu intelligente chez l'autre. Pour poursuivre la comparaison entre les deux cinéastes, Kirsten Dunst est magnifique et touchante dans Virgin Suicides, anecdotique dans Melancholia. La fin d'un monde chez la réalisatrice américaine est plus émouvante et bouleversante que la fin du monde chez Lars Von Trier. Cruel paradoxe.