Boudé au profit de The Tree of Life, Melancholia (probablement sanctionné par les propos polémiques de son auteur) se contente du Prix d’interprétation féminine au festival de Cannes (largement mérité). Où Terrence Malick nous imposait un chaos de plans magnifiques, certes, mais inintéressants au possible, et l’irritation d’un film dépourvu de coordination scénaristique, Lars Von Trier a sculpté un petit bijou ; une perle noire, non exempte de défauts, mais bouleversante de par sa beauté et par la gracilité des interprétations.
Que ceux qui n’ont pas apprécié sa dernière œuvre, Antichrist, se rassurent : celle-ci se révèle infiniment plus poétique, à la frontière du divertissement et de l’œuvre d’art. Le réalisateur n’est ici en aucun cas misogyne, comme pouvaient l’affirmer les détracteurs d’Antichrist ; Melancholia est porteur du destin de deux femmes, toutes deux magnifiées de façon différente, toutes deux touchantes, fortes et fragiles.
Structuré en deux parties, le film se fait tout d’abord témoin des langueurs de Justine (Kirsten Dunst), jeune mariée confrontée à ses états d’âme. Après un prologue alternant de nombreuses scènes, somptueuses de lenteur et d’émotion, qui trouveront pour la plupart leur écho à la toute fin du film, l’on est transporté dans la fête de mariage de Justine, organisée par sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg). Sur fond de drames familiaux, Justine subit l’égoïsme agressif de sa mère (une Charlotte Rampling génialissime et détestable), qui déteste les mariages, et l’indifférence libertine de son père qui appelle tout le monde Betty, y compris sa propre fille, qui a besoin de lui.
Peu à peu, le bonheur ambiant se dissout et la fête se transforme en doux cauchemar, alimenté par les dérives de Justine, qui catharsise son mal-être par la fuite et l’indifférence, et peine de plus en plus à cacher la dépression qui l’habite. Rêveuse, gracieuse, elle trouve écho dans la Blanche Ophélie de Shakespeare, demoiselle noyée dans son désespoir (parallèle rappelé dans l’affiche du film, un des plans du début, et un des livres de la bibliothèque choisis par Justine). Kirsten Dunst est inoubliable en Ophélie, et Lars Von Trier traduit avec une justesse incroyable les affres de la dépression, symbolisés par cette image seule et les dires de son héroïne : dans sa robe de mariée, elle tente d’avancée, incommodée et retenue par d’épais, répugnants fils de laine grisâtres lui retenant les pieds et s’emmêlant autour de ses jambes.
Melancholia, c’est donc cette maladie qui ronge Justine, mais c’est également le nom de cette planète en transit qui menace d’entrer en collision avec la Terre. Dans la deuxième partie, c’est sur la sœur, Claire, qu’est focalisée l’attention. Si terre à terre dans la première moitié, elle panique et révèle toute sa fragilité, inquiétée par cette planète malgré les dires des scientifiques qui affirment qu’il n’y a aucun risque tandis que Justine s’est complètement calmée : elle semble savoir quelque chose que personne d’autre ne sait et avoir accepté sa destinée avec une sorte de stoïcisme désabusé. Comme les chevaux qui se calment soudainement à l’approche de la fin, elle cesse ses comportements erratiques et se contente d’être présente, silencieuse, victime de la fatalité.
Les dernières minutes sont une explosion de beauté et d’intensité qui, portées par les notes de Wagner, nous laissent tremblants, un peu abîmés, toujours un peu prisonniers de l’univers particulier dont nous avons été les chanceux témoins.