Je méprise Lars Von Trier, le trouvant trop glauque et anxiogène, tellement torturé qu'il en devient sordide et sinistre. Je me suis donc lancé dans Melancholia avec un très mauvais préavis, j’ai pensé que je me devais de le voir simplement pour ma culture cinématographique et confirmer mes préjugés et mon dédain profond pour ce foutu réalisateur. Alors merde, je me suis senti bien con au milieu du film, me rendant compte que j'étais témoin d'un grand moment de cinéma.
Contrairement à tous les éloges qui sont fait dans les autres critiques, les 10 premières minutes ne m'ont guère plus. Bon, en même temps, je suis coincé derrière mon pc, en streaming 720p, j'imagine que l'imagerie semblait nettement plus impressionnante en salle. Pour être honnête, ces images étaient parfaites, sublimes. Le problème, c'est justement cette beauté trop lourde, avec des effets stylistiques trop appuyés, un jeu de lumières théâtral, des ralentis pompeux, et des couleurs beaucoup trop vives. Tout ceci m'a semblé totalement artificiel et chargé. Je me suis dit "Ah... Lars Von trier dans toute sa splendeur !" tellement l'univers me semblait lent, oppressif et presque gothique, trop lugubre. Le tout affirmé par le fameux Wagner, qui ne colle que trop bien à Trier je trouve, les gens jugeant sa musique trop pompeuse, trop riche et complexe, incompréhensible, voir prétentieuse. J'ai donc laissé passer cette introduction lourdement, en étant déjà fatigué par l'atmosphère proposée, très semblable à celle de l'introduction d'Antichrist, tout aussi sublime et exaspérante à la fois.
Arrive ensuite le premier chapitre, changeant soudainement d'atmosphère. On assiste à une fête de mariage. La caméra est tremblante, portée sur l'épaule, alliant zoom et dézoom, et avancées instables. Ce visuel m'irrite, m'agace, m'énerve, et je sais pertinemment que c'est volontaire. Ah je déteste ce Trier !
Puis, petit à petit, de fil en aiguille, une sorte de lenteur psychédélique s'installe, un pouvoir sensoriel se créé, la réalisation devient finalement une signature, un trait de caractère singulier et hyperréaliste. L'environnement prend place, les situations s’enchaînent sans but précis, sans scénario concis, juste pour la beauté de l'art et l'étalage d'un personnage instable, à l'image de la réalisation, sensible et agressif, à la fois détestable et pourtant attachant par sa fragilité. Une dualité des sentiments se met en place, la psyché humaine dans toute sa splendeur, entre cruauté et sensibilité. Le bonheur n’est jamais acquis, il n’est que passager, et la condition humain reprend le pouvoir, la mort est une fatalité. Là encore, j’ai bien retrouvé Lars Von Trier dans son grand pessimisme, seulement ce mal être est pour une fois d’une beauté sans nom.
Cette première partie du film se déroule presque en temps et en heure, le spectateur étant enfermé dans cette triste fête, empreinte de mélancolie et de détresse, comme lorsque l’on est invité chez des amis et que l’on ne trouve pas sa place, on ne se sent jamais aussi seul que lorsque tout le monde autour de vous est heureux. Le bonheur semble être une obligation, et vous n’avez pas le droit de ne pas sourire.
La deuxième partie s’ouvre, l’intrigue faisant peau neuve, le spectateur sortant de cette éprouvante virée festive, d’une grande poésie mais d’une mélancolie incommensurable. Le duo, et en même temps duel, Gainsbourg/Dunst est plus qu’admirable. Les actrices sont sublimes, dégageant une certaine nonchalance pouvant les rendre très vite ennuyeuses mais qui fait finalement tout leur charisme, à l’image du film dont la lenteur est insupportable pour les uns et de toute beauté pour les autres. Une nouvelle intrigue se hisse petit à petit, sans pour autant créer d’inégalité au sein du film, la poésie du tragique est glorifiée, le conditionnement humain est exposé dans son plus simple appareil, la peur de la mort, la peur de mourir seul, non seulement la peur de mourir mais surtout la peur de ne plus vivre, une vie que l’on aura pourtant toujours détesté. L’idée seule est tellement triste qu’aucun pathos, aucune mièvrerie n’est nécessaire pour créer une proximité avec le spectateur. L’émotion est pure, sans artifice, sans musique, sans cadrage travaillé, tout semble spontané, vrai, authentique, tristement humain.
Le film se termine par cette sublime apocalypse dont personne ne sort vivant. Non, je ne suis pas en train de spoiler la fin du film car la mort est son essence même, une autre fin n’aurait pu être pensée, toute espérance sur la vie des protagonistes n’aurait été qu’illusion. La planète nommée Melancholia s’écrase donc, le message ne peut être plus clair : La mort arrive, la mélancolie l’emporte et l’homme n’a d’autre moyen que de nier son déterminisme jusqu’au bout (d’où la création de la cabane imaginaire).
Au final, une œuvre lyrique aussi détestable qu’admirable. Ma critique n’a que très peu d’importance, car ici, tout n’est qu’émotion, une question de sensibilité, de sensorialité. Et le sensoriel ne s’explique pas, il se vit simplement.