Un documentaire très original, remarquable d'intelligence et de sensibilité. En établissant un parallèle entre la recherche astronomique puis archéologique et la recherche des victimes du régime de Pinochet, Patricio Guzmán propose une approche insolite de l'un des paradoxes de l'État chilien, plus enclin à regarder loin dans le ciel et loin en arrière dans le temps, qu'à se regarder en face pour ausculter son histoire récente. Au fil des témoignages, le réalisateur nourrit une réflexion qui va de l'individuel au collectif, de l'intime à l'universel, et inversement. Son cheminement, qui apparaît d'abord sinueux, tisse un réseau de liens subtils entre les discours scientifique, philosophique, historique, politique, et les récits de vie. Entre la terre et le ciel jaillit une méditation sur le temps, la mémoire, le deuil, la dignité, l'identité. Entre les corps humains et les corps célestes jaillit aussi un sentiment d'absurde bouleversant. Le vertige intellectuel est ici indissociable de la profondeur émotionnelle, notamment via la présentation de ces femmes lancées dans une quête douloureuse, impossible et magnifique, perdues dans le désert, face au "silence éternel de ces espaces infinis", comme disait Pascal. Cette harmonie rare est véhiculée par un style sur lequel ne semblent jamais peser la richesse du contenu et le poids du passé. Guzmán cerne son sujet avec une lenteur propice à la réflexion et demeure constamment sensible à la valeur poétique des images (surtout cosmiques), ainsi qu'au pouvoir suggestif des métaphores. Ou comment évoquer des choses infiniment graves avec infiniment de grâce.