Dans un port de pêche en Normandie, deux solitudes se croisent, se toisent, se confrontent jusqu’à s’apprivoiser, en permettant de percer la carapace. Chez Angèle, qui sort de prison, n’a pas la garde de son enfant laissé aux soins de ses beaux-parents, il n’y a pas d’espoir ou de promesse factice, mais la volonté sur laquelle elle s’arc-boute de se battre et d’avancer, en faisant de son corps qu’elle offre volontiers son principal atout. Renfrognée, ne souriant pas et sortant les griffes au moindre souci, Angèle ne renonce pas et lutte, vaille que vaille, comme en témoignent ses déplacements en vélo qui ponctuent le film comme autant de métaphores de sa propre évolution. Face à elle, moins cabossé, mais plus réservé et taiseux, Tony est un marin pêcheur, revenu vivre chez sa mère depuis le décès de son père, mal à l’aise devant Angèle dont il réprouve le langage et l’attitude d’offrande mercantile. Dans une démarche artistique qui n’est pas éloignée de celle de Maurice Pialat ou d’Agnès Varda (Angèle comme petite sœur de Mona, l’héroïne de Sans toit ni loi), Alix Delaporte filme une communauté au travail, en mer mais aussi sur les quais à la vente des poissons. En ce sens, le film possède un véritable ancrage social qui n’est pas si courant aujourd’hui, mais il sublime également de façon romanesque, grâce aux moyens comme la lumière et les filtres photographiques qu’autorise le cinéma, une histoire d’amour en magnifiant les deux personnages par la délicatesse et la justesse du regard que la cinéaste porte sur eux. Le jeu de Clotilde Hesme et de Grégory Gadebois, comédien de théâtre venu de la Comédie Française, contribue largement à faire de Angèle et Tony une réussite. Cette double reconstruction en marche saisie dans l’air iodé et dans la belle lumière maritime constitue une émouvante chronique sociale et sentimentale, à la fois modeste, humble et pleine de promesses d’un avenir enfin plus radieux, sans excès d’angélisme ni de niaiserie.