Comme le suggère le titre, Jimmy Rivière est un portrait. Celui d’un jeune Gitan d’une vingtaine d’années, grandi au sein d’une communauté pentecôtiste, plein de fougue, nerveux, parfois trop. Le jour où il croise la route de Dieu et demande le baptême, il s’engage à renoncer aux deux passions de sa vie : la boxe et Sonia.
Voilà un garçon solaire, physique, trop physique, qui pour vivre sa foi, il décrit avec simplicité sa rencontre avec Jésus, va dénier son corps habité de passions dévorantes, la boxe thaï, corps à corps violent, explosif, vif et nerveux et sa relation amoureuse, charnelle avec une jeune «gadjie».
Il ya quelque chose de fascinant chez ce jeune gitan sans instruction, c’est qu’il ressent l’incompatibilité entre sa foi et ce qu’il vit dans son corps, un corps qui se bat, bouscule, frappe, un corps qui étreint, possède, s’abandonne. Jimmy ressent, sans forcément bien comprendre, les enjeux auxquels il souhaite pourtant se soumettre. Il relie l’amour de Jésus et la morale de l’Eglise.
Attention, Jimmy n’est pas dans la mortification, ce n’est pas un pénitent masochiste. Il est tout à la joie de son baptême et irradie d’amour. De blanc vêtu, Jimmy est plongé dans l’eau d’un petit étang, devant l’ensemble des « voyageurs » dont il partage le quotidien. Il s’en relève ruisselant d’intentions pures et tente, jour après jour, de leur donner consistance. « Avant de rencontrer le Seigneur ma vie était mangée par des passions, Jésus nous libère de ce qui ne va pas dans notre vie. » Et Jimmy renonce à ses anciennes idoles, une violence à fleur de peau qu’il exprime et expulse dans la pratique assidue de la boxe et la passion sauvage, la fièvre dans le sang, qu’il vit avec Sonia.
Ce n’est pas une leçon, c’est une vie. Il n’y a rien à comprendre, il n’y a qu’à suivre. Il faut le regarder tout à la joie de sa conversion : il donne envie de se laisser retourner pour goûter ou retrouver cette paix.
Mais la vie est contrariante, les exigences et les désirs contradictoires. Jimmy se cherche, se dérobe aux attentes des uns et des autres et, sous les regards des proches et du groupe, se met en quête de sa vraie place. La douceur de la grâce des débuts peu à peu s’estompe laissant Jimmy au combat de chaque jour et à sa quête de soi et de foi. Tour à tour immature et impulsif ou étonnamment sensible et lucide, violent et doux, sensuel et sexuel, sombre et lumineux, Jimmy fait des allers-retours, entre promesses et renoncements, envie et dépit, action et passivité, et on se sent nous-mêmes pris au piège d'une voie trop connue où l’on retrouve nos hésitations. Bouleversant quand son corps exprime tout ce qui devrait être réprimé, Jimmy Rivière affronte les tentations. Son entraîneuse androgyne troublante et dominatrice lui propose le combat qu’il n’attendait plus, Sonia, omniprésente, perdue, amoureuse le poursuit jusque dans l’intimité masculine des vestiaires, et la recherche du plaisir solitaire plane sur ses nuits sans sommeil. Jimmy tiraillé, tête folle, grande gueule, ses grands yeux verts traversés de bouleversants éclats, se laisse aller, sa nervosité prenant le dessus. Il descend alors une pente raide où la chair dans ce qu’elle peut avoir de trivial et vulgaire côtoie la spiritualité, confuse porteuse d’espoirs et de doutes, parfois clinquante et simpliste, dans un mélange détonant. Il ment à tous, et à lui-même en premier, avant d'essayer de se repentir. Mais qui peut encore lui faire confiance et savoir qui il est ?
La question est pour chacun de nous et elle rejoint des interrogations récurrentes. Pourquoi l’état de grâce cesse-t-il ? Pourquoi replongeons-nous chaque fois au même endroit ? Jimmy Rivière vient se couler dans la théorie « anthropogéologique ». On a beau déplacer le cours d’un fleuve, monter des digues, creuser des chenaux, il cherche toujours à regagner son lit, comme un retour au sillon le plus primitif de sa nature. Et le travail de la grâce et notre combat continuent.