Nous vivons une époque formidable. La logique d'aseptisation des films à grand spectacle est arrivée au bout du formatage complet de produits sans auteur et sans saveur. Alors qu'on allait voir un blockbuster héroïque signé Sam Raimi, Tim Burton ou Christopher Nolan, aujourd'hui le spectateur va voir un « Marvel » ou un « DC » démoulé précipitamment par une écurie. D'ailleurs, en dehors de toute considération d'écriture et de direction artistique qui lui échappent pour l'essentiel, peut-on voir encore « un auteur » derrière un film dont le contrôle sur la table de montage excède rarement 40% du produit fini diffusé en salles ? (et encore, sur un produit « low cost » cf. Fabrice du Welz) Dans ces conditions, y a t-il quelque chose à singulariser sur le plan des choix de direction cinématographique entre des films comme Man of steel, Batman vs Superman, Wonder Woman voire même Warcraft ? Hormis les intrépides joueurs et fans de super héros, y a t-il des cinéphiles capables de déceler quelque chose de Duncan Jones, Patty Jenkins voire même de Zack Snyder dans chacun de ces films ? Cette logique de standardisation est parvenue à son aboutissement : même identité visuelle (photographie bleue-orange, texture numérique dure et grasse), même écriture de l'action (ralentis à outrances, plans iconiques répétés et contre productifs), même score musical pachydermique stabylotant toutes les émotions de « l'écran »... Dans ces conditions, comment peut-on déceler voire même reprocher l'inexistence d'un auteur ? Le cinéma d'action n'a jamais été aussi peu inscrit dans la physique et même parmi les hommes. Il n'y a plus de matière perceptible (CGI et fonds verts sur 90% du film), plus de profondeur dans l'image (le modelé propre au travail photo et lumière à la prise de vue des films plus anciens), plus de sensibilité à la gestion de la physique du monde environnant. Tout est parfaitement lisse, fluide dans l'interaction entre les « hommes » et leur réalité augmentée . On se déplace, construit et détruit si facilement que cette aisance contribue au caractère expéditif de l'intensité supposée d'une scène, et nuit à la dramatisation d'un plan et de son action considérée comme déterminante. Dans ce cinéma translucide et reproductible à l'infini, Wonder Woman est simplement composée de la même recette idiote appliquée inlassablement. Le conditionnement d'un Big Mac servi toujours à l’identique, le spectateur n'attendant rien d'autre que le même burger servi de la même façon quelles que soient les circonstances. Pas même que l'on connaît vraiment l'auteur de la recette d'un burger servi dans une chaîne de fast food, Patty Jenkins n'a aucune raison d'exister dans ce modèle de création. Dans cette conception désincarnée, y aura t-il encore des acteurs en mouvement lorsqu'une IA modélisée sera capable de simuler les faciès ultra expressifs et les dialogues ultra savants de Gal Gadot ou Chris Pine ? Ces studios traditionnels peuvent craindre en effet les nouvelles plateformes de financement et de diffusion (Netflix, Apple, amazon). Dans ces conditions, ils peuvent mourir et avec eux, leurs 50 futurs DC, Marvel, Star Wars ou Alien. La nature a horreur du vide, et ça tombe bien, les cinéphiles aussi.