DC Comics a bien du mal à s’imposer sur grand écran comme un adversaire à la mesure de son grand rival Marvel. Il faut dire que La Maison des Idées a pris une sacrée avance et acquis, depuis près de 10 ans, un savoir-faire qui force le respect. Depuis "Man of Steel" (reboot de "Superman" transformé, par la suite, en première opus de l’univers étendu DC Comics), aucun film n’est parvenu à faire l’unanimité, si ce n’est contre lui (voir "Suicide Squad"). L’annonce d’un film consacré à Wonder Woman (super-héroïne iconisée par la série TV kitsch des années 70 avec Lynda Carter) a, ainsi, été accueillie avec une légitime méfiance… pour devenir, finalement, la première réussite critique de DC Comics. J’ai plutôt bien aimé le film mais le raz-de-marée qu’il a suscité m’a un peu laissé perplexe. Pourtant, les raisons de ce succès inespéré paraissent assez simples : moins de fioritures, une mise en scène moins formatée, pas de fausse note majeure (genre "Martha") et un duo vedette aussi formidable qu’inattendu. A ce titre, il faut immédiatement saluer le petit miracle accompli par le film, qui parvient à rendre crédible et, plus incroyable encore, intéressant, le personnage de Wonder Woman qui, un peu comme Captain America jadis, semblait promis à la caricature surannée. Ses motivations, son décalage face au monde moderne mais, également, son refus de rester inerte face au danger en font un personnage avec une vraie dynamique et donnent envie d’en savoir plus sur elle. Elle devrait, par ailleurs, permettre au public féminin de s’y retrouver, enfin, un peu plus dans le monde hyper-masculin des super-héros. L’interprétation de Gal Gadot est pour beaucoup dans la réussite du personnage, son charme et sa présence crevant l’écran sans sombrer dans l’outrance. A ses côtés, Chris Pine campe un héros de guerre monstrueusement cool (on sent qu’un vrai travail sur la gestuelle a été opérée pour faire exister le personnage) qui transcende son statut de faire-valoir. Malheureusement (et c’est le premier défaut du film), tous les personnages n’ont pas bénéficier du même souci d’écriture. Ainsi, si on peut s’enthousiasmer pour le mystère qui entoure le Dr Poison aux failles apparentes (Elena Anaya) et les interventions (trop rares néanmoins) de la secrétaire Etta Candy (méconnaissable Lucy Davis), on ne peut pas en dire autant des membres de l’équipe de Trevor (Ewen Bremner, Saïd Taghmaoui et Eugene Brave Rock) qui manquent sérieusement de consistance, des Amazones (dont Connie Nielsen et Robin Wright) qui manque de temps pour exprimer autres choses que les racines de l’héroïne ou du Général Lunderdorff (Danny Huston) trop manichéen. Quant au grand méchant Hadès, c’est peu dire qu’il déçoit,
tant par son identité (j’ai su qu’il s’agissait de David Thewlis dès sa première apparition !) que par sa représentation (pourquoi avoir conservé le visage de l’acteur lorsque le personnage porte l’armure au lieu de le laisser dans l’obscurité, comme dans le comics ?)
. Certes, dans son ensemble, le scénario n’est pas un modèle d’originalité et s’avère, la plupart du temps, assez convenu
(le parcours initiatique de la super-héroïne, la love story ponctuée par un sacrifice final…)
mais la sous-intrigue entourant Hadès (et qui se veut mystérieuse) est globalement ratée et souffre, du reste, des idées les moins réussies du film
(l’utilisation too much du gaz décuplant la force entre autres)
et de dialogues un peu risibles (voir la confrontation finale et ses punchlines tout droit sorties d’un nanar des années 90). Pour autant, ces défauts ne gâchent pas le film, qui compense par une mise en scène étonnante. On reprochera surement beaucoup, dans les prochaines années (si ce n’est pas déjà le cas !) à Zack Snyder d’avoir imposé sa vision ultra-stylisée, saccadée et criarde à l’univers DC Comics en dénaturant, au passage, le matériau d’origine. Le fait que "Wonder Woman" soit réalisé par Patty Jenkins, plus portée sur les films d’auteur que sur les blockbusters décérébrés, apporte au film une sensibilité appréciable et, surtout, un style auquel les films de super-héros ne nous ont pas habitués. Le cahier des charges impose quelques passages obligés, plutôt bien maîtrisés d’ailleurs,
comme le combat sur la plage des amazones ou la charge de Wonder Woman dans la tranchée,
ainsi qu’une BO plutôt pas mal (Rupert Gregson-Williams à la baguette ainsi que le thème sauvage de Hans Zimmer). Mais le film va au-delà de ça. On a droit à quelques idées visuellement intéressantes
(l’illustration du récit sur la guerre des Dieux)
, à un refus de surexploiter le comique de situation tiré du décalage entre l’Amazone et le monde du 20e siècle, à une reconstitution sérieuse de l’Europe de la Première Guerre Mondiale (on est loin des rayons laser de "Captain America : First Avenger")… Et puis, "Wonder Woman" prend souvent son temps (parfois trop, d’ailleurs) pour développer les relations entre les personnages et n’hésite pas à faire durer des scènes plus intimes, qui servent, en principe, à faire le lien entre deux séquences explosives et qui sont utilisées, ici, pour renforcer les protagonistes. A titre d’exemple,
la discussion entre Wonder Woman et Steve Trevor lors de leur voyage vers l’Angleterre
ne ressemble à rien de connu et crédibilise leur relation. Cette réalisation atypique a, pour autant, des défauts (à commencer par un manque d’efficacité par moments) et ne permet pas de tout réussir
(pourquoi, notamment, avoir flingué la scène d’adieu entre Diane et Trevor, initialement forte car inaudible, en la reconstituant par la suite avec des dialogues ?)
. Au final, malgré ses défauts, DC Comics tient son premier hit au box-office… qui me parait aussi exagéré que le bashing hallucinant dont a souffert "Batman Vs Superman" (que j’avoue avoir préféré, malgré "Martha"). Il sera intéressant de voir s’il résiste aux ravages du temps qui passe et, surtout, aux futurs opus de l’Univers étendu qui pourraient attenter à son prestige actuel.