Oserais-je l'avouer ? Non seulement je n'avais jamais vu de film de Gregg Araki jusqu'à "Kaboom", mais en plus j'étais persuadé qu'il s'agissait d'un tout jeune réalisateur, à l'image de Xavier Dolan, et la vision du film n'a fait que de me renforcer dans cette croyance. Aussi, quand j'ai rédigé la note de cette critique consacrée au réalisateur, quelle ne fut pas mon étonnement en découvrant qu'il s'agissait d'un allègre quinquagénaire, et que son premier film datait de 23 ans, soit deux ans avant la naissance de l'auteur des " Amours imaginaires".
Cette erreur s'explique sans doute par la concomitance de la présentation à Cannes des films de Dolan et d'Araki. Mais l'impression de jeunesse est bien réelle, et elle repose à la fois sur le thème choisi, et sur le traitement qu'il en fait. Si au premier degré, l'histoire se résume à de mystérieuses disparitions orchestrées par la variante terroriste de l'Ordre du Temple Solaire, le thème qui vertèbre toute la première partie est celui de la liberté des moeurs, et corollairement, celui de l'identité sexuelle. Drôle de campus en effet que celui où résident Smith, Stella, Thor et la plupart des personnages : le seul plan se déroulant dans un cours dure trois secondes, fait partie d'un flasback et ne sert qu'à montrer l'évanouissement d'une étudiante. Le reste du temps, les étudiants le consacrent à parler de sexe, à pratiquer le sexe, et accessoirement à fantasmer le sexe.
Pourtant, Smith étudie une matière peu exotique : le cinéma, suggéré par la scène métaphorique de la Lune et de l'oeil dans "Le Chien Andalou". Stella confirme que ce campus ressemble plus à Paris VIII qu'à Dauphine, puisqu'elle étudie les Beaux-Arts ; quant à Thor, mélange de Brice de Nice et de Spike, le coloc d'Hugh Grant dans "Coup de foudre à Notting Hill", on se demande en quelle fac il peut bien être inscrit, avec sa planche de surf perpétuellement sous le bras. Les professeurs sont plus absents que dans "Elephant", et des lieux comme le resto U ou la bibliothèque ne trouvent de justification que comme des lieux pratiques pour les rendez-vous.
Nostalgique de ses années étudiantes, Gregg Araki reconnait combien l'oeuvre de David Lynch a pu l'influencer: "J’avais toujours voulu faire un film énigmatique et mystérieux inspiré par"Twin Peaks" de David Lynch. J’étais un jeune étudiant quand cette série a secoué la télé américaine et elle m’a réellement bouleversé, influençant non seulement mon travail, mais aussi toute ma vie." Société secrète, disparition mystérieuse, ambiance cauchemardesque, lumière bleutée, cette influence se traduit tant visuellement que narrativement, même si Araki ne répugne pas à faire d'autres citations, à l'image de cette rousse qui s'appelle Madeleine comme Kim Novak dans "Vertigo".
Mélange entre teen-movie, feuilleton abracadabrantesque à la "Céline et Julie vont en bateau" et comédie délirante, "Kaboom" égratigne au passage la paranoïa américaine du complot et l'omniprésence du rapport oedipien mal digéré du cinéma hollywoodien. Servi par une photographie particulièrement léchée et une esthétique pop légèrement vintage (splt screen, couleurs flashy), le film de Gregg Araki vaut aussi par une énergie décomplexée et un sérieux dans la déconne parfaitement assumé.
Critiques Clunysiennes
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