Les films d'Aki Kaurismäki, c'est toujours un peu la même chose, mais c'est toujours bien. Quelques petites variantes ici : le tournage a eu lieu en France et en français ; la tonalité est plus optimiste qu'à l'habitude. Le Havre est un conte social, faussement naïf, tout empreint d'humanisme. Kaurismäki a le talent de faire passer une série de belles et nobles valeurs, sans avoir l'air d'y toucher. Il est question de générosité, de fraternité, de solidarité, sur fond de pauvreté et d'immigration clandestine. Le réalisateur aborde tout cela avec un mélange de sérieux et de légèreté, la gravité étant toujours désamorcée par un humour en coin et un sens de l'absurde. Il a pour ses personnages une forme de tendresse pudique qui rend l'histoire assez touchante. Le personnage central est typique de son cinéma : marginal, un peu loser, mais courageux dans l'adversité. André Wilms l'interprète de façon étonnante : il en exprime la droiture, la dignité et la sensibilité, avec un jeu décalé, raide et poétique.
Côté style, on retrouve inévitablement la patte de l'auteur : plans fixes et savamment composés, couleurs froides, minimalisme des dialogues. Ce qui crée, en contraste avec les thèmes abordés, une austérité chaleureuse. Kaurismäki pratique l'antithèse en tout, jusque dans la caractérisation du commissaire Monnet : vêtements noirs et voiture blanche ; apparence de salopard... mais les apparences sont parfois trompeuses. Autre exemple d'antithèse, plus générale : le film est à la fois moderne, car bien ancré dans la réalité sociopolitique de son temps, et rétro ; un personnage prénommé Arletty renvoie aux années 1930 et au cinéma de Marcel Carné ; le look des boutiques fleure bon les années 1950 ; les voitures utilisées rappellent, pour la plupart, les années 1970-1980. Il en va de même pour le métier désuet exercé par Marcel Marx : cireur de chaussures à une époque où beaucoup de gens portent des baskets. Certains choix d'acteurs établissent enfin quelques passerelles vers le passé : Pierre Étaix, Jean-Pierre Léaud ou le rockeur Little Bob. Tout cela contribue à créer un univers réaliste et irréaliste. Un univers à part dans le paysage cinématographique.