« Le Havre », ou le film que l’on aurait aimé aimer. Un film social et plein d’espoir, comme on a pu en voir un récemment avec « Les Neiges du Kilimandjaro » ; un film engagé sans être manichéen, à l’inverse du grossier dernier film de Cédric Klapisch ; un film certes plein de bons sentiments, mais moins populiste qu’ « Intouchables ». Malheureusement, Aki Kaurismäki rate le coche et signe un film frustrant et agaçant. La séquence pré-générique était pourtant prometteuse : Marcel Marx cire les chaussures d’une sorte de mafioso italien qui se fait descendre hors-champ quelques secondes plus tard. « Au moins, il a payé ! », s’exclame Marx avec une ironie teintée de bon sens. Si « Le Havre » avait continué sur cette lignée d’humour grinçant, son propos, au demeurant maintes fois rabâchés ces dernières années dans le cinéma français (« Welcome », de Philippe Lioret, en est l’exemple le plus flagrant), aurait eu plus de force. Il n’en sera rien.
Il est fort probable que Kaurismäki ne s’y connaisse pas plus en spécificités françaises qu’un réalisateur français moyen en spécificités finlandaises. Ainsi, tout n’est que fantasme dans Le Havre, aussi bien dans la ville que dans le film. Et ses fantasmes datent un peu : en bon cinéphile qu’il est, Kaurismäki nomme ses personnages Arletty ou Becker. Comme on est au Havre, et qu’un certain Claude M. y a peint « Impression, soleil levant » il y a près d’un siècle et demi, un autre personnage s’appellera Monet. Pour le cireur de chaussures, on ira chercher en-dehors de nos frontières : Marx, rien que ça ! Même son casting traduit un goût certain pour l’ancien, et c’est ainsi que Kaurismäki va nous ressortir deux grands noms du cinéma français des années 60 : Jean-Pierre Léaud, l’icône de la Nouvelle Vague, et Pierre Etaix, réalisateur et acteur qui aurait pu (dû) être l’égal de Tati si ce n’avait été de malchances financières qui ne furent pas de son ressort.
Tout est vieux, donc, dans « Le Havre », et tout y est également cliché et déjà vu. Notre Marx national est évidemment un homme pauvre mais bon, tout comme son amie la boulangère, son amie la tenancière de bar, son ami l’épicier, son ami clandestin vietnamien… Le film aurait pu s’appeler « De la générosité des petites gens ». En face, on a les salauds emblématiques de la France, traquant les Congolais presque comme des nazis : les flics. Et qui dit nazis dit collaboration : Léaud incarne un personnage identifié comme « dénonciateur » dans le générique de fin : de fait, ça lui correspond parfaitement, car sa seule caractéristique est de dénoncer le Juste Marx cachant le jeune Idrissa. Pourquoi fait-il ça ? On n’en saura rien, mais il le fait. Enfin, entre les gentils et les méchants, on a Monet, le commissaire, incarné par un Jean-Pierre Daroussin tout de noir vêtu, apparemment odieux, cynique et misanthrope, mais qui, en fait, aidera Marx dans sa noble quête. On peut donc être flic et bon, même si ça ne saute pas aux yeux.
Même en étant de bonne humeur, difficile de se sentir concerné par une histoire cousue de fil blanc. Difficile également de s’intéresser à l’autre histoire, celle de la femme de Marx, atteinte d’une vilaine maladie dont on taira le nom. Le film finira bien, dans les deux cas : le film a été vendu comme un « conte de fées social ». Soit, un peu d’optimisme ne fait pas de mal, mais on demeure quand même très loin de Chaplin ou de Capra. Déraciné de sa Finlande, Kaurismäki y perd aussi bien sa puissance narrative que formelle. Et « Le Havre » n’est qu’un médiocre petit film bien français.