"Welcome" revisité par un réalisateur finlandais alcoolique, ça vous tente ? Non ? Eh ben, vous avez tort ! Bon, c'est sûr, si on n'a jamais vu de film d'Aki Kaurismaki avant, ça peut surprendre, voire rebuter. La façon de s'exprimer des personnages d'un ton monocorde et leur façon de se mouvoir dans le cadre avec une extrême économie de mouvements (de la part des acteurs, mais aussi de la part de la caméra) sortent des sentiers battus du tout venant de la production cinématographique et portent bien la marque de fabrique de l'auteur. En plus, alors que ça ne nous gênait absolument pas dans ses précédents films (en finnois... qui comprend le finnois ?), les dialogues donnent ici une certaine impression de "mal joué" (parce qu'en français), surtout de la part du jeune Blondin Miguel mais aussi des actrices finlandaises dont l'accent est à couper au couteau (j'ai bien dit finlandaises, hein, j'veux pas d'emmerdes avec Eva Joly, moi !). Cette impression s'estompe par contre totalement avec André Wilms, à l'aise comme un poisson dans l'eau dans ce type de cinéma (ce n'est d'ailleurs pas, et loin de là, sa première collaboration avec Kaurismaki).
Il est aussi marrant de voir que quand Kaurismaki s'empare d'un sujet de société sérieux et grave, voire tragique, il en tire un film d'un optimisme et d'une naïveté revigorants. C'était le cas dans "Au Loin s'en Vont les Nuages" (sans doute son meilleur film) avec le chômage, c'est le cas dans "Le Havre" avec l'immigration clandestine. Naïfs, les décors aux tons pastels du plus bel effet. Naïfs, tous les anachronismes qui pullulent dans le film (des cireurs de chaussures, une 403, un chauffe-eau... et puis, surtout, on fume dans les bars !!!). Naïve et forcément irréaliste, cette communauté de braves gens prêts à se serrer les coudes pour venir en aide aux plus malheureux... Tout ça quand même avec un dénonciateur. Un seul et unique dénonciateur. Vous vous rendez compte ? En France ? Pas possible...
Finalement, les seules touches de réalisme sont apportées par la voix off d'Eric Besson dans un reportage TV et par les uniformes des policiers. Le rôle de flic de Darroussin (qui, dans le genre personnage bourru mais sensible, ne dépareillerait pas dans un film de Miyazaki) nous donne d'ailleurs pas mal à réfléchir sur son métier : la police applique la loi, la loi protège les citoyens. OK, on voit bien la menace que représente un voleur ou un assassin mais c'est un peu plus flou dans le cas d'une personne qui veut juste rejoindre un membre de sa famille dans un pays étranger...
Si le film s'était vraiment voulu réaliste, il se serait tourné un peu plus au Nord, là où se trouve la plaque tournante de l'immigration vers l'Angleterre. En fait, si Le Havre a été choisi comme lieu d'action et comme titre du film, c'est sans doute plus à cause de l'ironie qui se dégage de son nom (havre = refuge, sauf pour les clandestins) et aussi parce que c'est la ville de Little Bob. Et là, je dis merci, Monsieur Kaurismaki, d'avoir remis un peu de lumière sur un tel artiste ! De la part du type qui nous a fait découvrir les Leningrad Cowboys il y a une vingtaine d'années, on ne pouvait s'attendre à mieux.