HUMAIN TROP HUMAIN : Sous ses faux aspects de traque policière sombre et de comédie décalé , « Le Havre » est véritablement un drame humain, profond, intelligent et satirique. Le sujet colle à l'actualité : les problèmes financiers d'un couple de personne âgé, l'expulsion des sans-papiers, le sort qui leur est réservé … et soulève également des questions existentielles sur la nature humaine, ce qui fait l'homme, comment le définir, comme justifier les différences, les naissances, les droits, les traques, comment parler d'égalité là où l'Homme est piétiné jusqu'à la moelle ? Il y a d'ailleurs cette phrase ( le film est tout du long ponctué par des dialogues tout à fait truculents, fins, saignants et cinglants, non dénoués d'humour d'ailleurs ) « Je ne sais ce que je pense car je n'existe pas » prononcée par 'Chang', résidant en France sous une fausse identité. Et en effet où sont les bornes d'une existence qui se limite à une dénomination sociétale, numérale même, un point dans une base de donnée mais l'être, l'intériorité, le sang qui se meut et se bouleverse lui-même ; oublié, il n'y a rien que ce que nous sommes par rapport aux codes/règles établis... Et pourtant, encore une fois ( c'est un adage des films français en ce moment ) l'optimisme est de rigueur ; les personnages changent, les hommes peuvent évoluer, se comprendre, s'aimer parfois, thèse défendable après tout et qui séduit inévitablement nos petites âmes pleine de lâcheté et de fuite, d'envie et d'espoir. Ainsi le film oscille entre une critique perçante de la société occidentale, des politiques barbares mise en place, des autorités accablantes, des êtres qui obéissent à ses ordres sans même y penser comme ces machines que l'on envoie loin dans l'espace destinées à une mort certaine et approuvée, de la haine que ses politiques de rigueur et d'expulsion peuvent entrainer, il oscille donc entre cela et une quête vers l'espérance et le changement, que certains probablement pourront qualifier de niaise, mais qui n'est finalement rien de plus qu'un idéal souhaité pour l'avenir d'un pays en perte de lui-même et de ses valeurs ; et cette terrible justesse entre un pessimisme exacerbé et un optimisme éclatant rend le film humainement appréciable sans pour autant le faire tomber dans des bas-fonds de bons sentiments préconçus et larmoyants. Dans ce sens d'ailleurs, le ton décalé est source d'un certain détachement remarquable qui empêche le spectateur de s'impliquer intégralement dans l'histoire et d'ainsi faire son boulot de spectateur justement : réfléchir. Car tout ceci est dramatique, salement dramatique. A ne pas s'y tromper, « Le Havre » est un long métrage infiniment engagé, révolté, effleurent même des tendances anarchistes/révolutionnaires qui doit être pris bien plus haut qu'il ne semble l'être. On dit parfois que « des films se méritent », je crois qu'ici c'est le cas : nous n'avons pas affaire à une énième comédie bourrée de clichés sur un sujet d'actualité manié et remanié mais à une œuvre subtile, aux multiples degrés et aux multiples couches s'entremêlant... Pas parfait néanmoins, quelques longueurs sans doute mais un film à voir !