Bien sûr, Le Havre, le nouveau film du finlandais Ari Kaurismäki, dont on était sans nouvelles depuis 2006, année de sortie des Lumières du faubourg, prend toutes les allures du conte de Noël avec sa générosité et sa bonté affichées, que d’aucuns auront la tentation de qualifier de mièvrerie ou de naïveté. En ce sens, le geste de Marcel Marx, cireur de chaussures misérable, qui va héberger un jeune clandestin africain et l’aider à rejoindre l’Angleterre rejoint celui de Samantha adoptant Cyril dans Le Gamin au vélo et celui de Michel et Marie-Claire prenant en charge les deux frères cadets de leur agresseur dans Les Neiges du Kilimandjaro. Ce n’est sans doute pas par hasard que les récipiendaires de ces trois actes purs et spontanés, plus ou moins motivés, soient des enfants en perdition. Ça l’est encore moins s’ils sont commis par des gens modestes, voire précaires. Incontestablement, les frères Dardenne, Guédiguian puis à présent Kaurismäki auront tissé en cette année de crise des utopies généreuses qui laissent encore entrevoir la croyance en l’homme.
Des trois, c’est d’évidence le réalisateur de L’Homme sans passé qui s’éloigne le plus de la réalité malgré l’actualité brûlante de son sujet : la chasse aux immigrants et clandestins. Le Havre est un film délicieusement anachronique qui (se) joue des temporalités avec délectation, donnant du coup à sa problématique une universalité logique que la multiplicité des ethnies et des accents traversant l’ensemble souligne. Â partir d’un drame en puissance, le cinéaste d’Orimattila réussit à faire pénétrer son univers habituel où l’absurdité et le décalage occupent une place de choix. Là où Le Havre s’avère le plus touchant, c’est dans les dialogues et les réactions qu’il prête aux personnages. Kaurismäki leur accorde la maîtrise du langage et l’intelligence du comportement malgré leur condition modeste, confinant presque au dénuement. Au-delà des valeurs de solidarité et d’entraide qui rassemblent Marcel et ses amis – la boulangère, l’épicier et la tenancière du bar – surnage aussi le regard respectueux et tendre, mais ni angélique ni faussement compassionnel, que le réalisateur porte sur son antihéros – interprété par le formidable André Wilms. Cette démarche de ne pas caricaturer la classe populaire en lui offrant justement l’opportunité de s’exprimer et de faire valoir sa simple existence est partagée notamment par le cinéaste de l’Estaque, et elle initiait aussi le projet de Gérard Mordillat pour Les Vivants et les Morts.
Le Havre se présente comme une œuvre épurée qui fait l’économie de scènes explicatives ou apitoyées, à l’image de Marcel qui ne perd jamais son calme et ne semble s’étonner de rien, bonnes comme mauvaises nouvelles. Ce qui donne au film une dimension apaisée et sereine tout à fait agréable. Et puis, un réalisateur qui pense à donner des rôles, certes secondaires, à Pierre Etaix et Jean-Pierre Léaud, et à employer la vieille gloire (locale) qu’est Little Bob, ne peut pas être complètement mauvais…