Habemus Papam est une œuvre fascinante dans le sens où elle aborde un thème délicat avec une véritable aisance. Ce n'est pas commun de voir un tel sujet au cinéma, où l'on traite du monde pontifical, en y ajoutant en plus toute une facette comique, qui aurait pu faire que le film se vautre et qui le tire finalement vers le haut. L'approche d'un univers mystérieux qu'est celui du Vatican en intégrant une vraie profondeur humaniste, qui va au-delà des apparences, fait du film moins un sujet religieux qu'un sujet humain.
En tant qu'athée convaincu, c'est avec une certaine appréhension que j'ai lancé le film. Non pas que je sois réfractaire à tout sujet religieux, mais j'avais peur que le fantasme du christianisme prenne les devants et laisse le spectateur neutre que je suis sur le bas côté. Cela n'a pas été le cas et la surprise en a été d'autant plus agréable. Bien sûr qu'on aborde l'aspect religieux du sujet à travers la succession controversée d'un pape et que cet aspect est présent continuellement, mais on ne l'épuise pas, on ne le rend pas indigeste, on s'en sert pour un discours qui touche tout le monde et qui dépasse ses propres fondements.
La grandiloquence de la cérémonie, l'application commune qui est celle de garder les secrets et de rassurer les fidèles, représentés comme une foule en attente, dessinant une ombre immense sur les pavés romains, donne au film cette impression d'être embarqué dans un compte à rebours insoutenable. L'implosion imminente qui suit l'élection du nouveau Pape prend ainsi une forme presque terrifiante. Car le Pape doit devenir un symbole, revêtir une cape et incarner un personnage jusqu'à la fin de ses jours. Il n'a plus de choix, et on pourrait presque dire plus de vie, même si toute sa vie a été consommée dans l'attente de ce moment précis. Le Pape n'est qu'un Homme en plein doute, et il ne voit devant lui qu'un alliage de peurs et de faiblesses.
Nanni Moretti filme cet homme avec beaucoup de tendresse, en faisant de lui une personne qui quitte rapidement sa « prison » pour fuir ses responsabilités. Non pas qu'il ne croit plus en cette charge, qu'il n'a plus la foi ; mais c'est la force qu'il n'a pas. C'est un cardinal inconnu, que personne ne voyait endosser un tel rôle, et lui-même ne s'en croit pas capable, préférant se réfugier dans les rues romaines, errant comme un vieil homme nostalgique qui redécouvrirait la vie et ses premiers amours (en l'occurrence le théâtre).
C'est donc un double récit qui se met en place, celui de cet homme perdu, en pleine recherche de soi-même ; et celui à l'intérieur du Vatican, en suspens pour une durée indéterminée. La tension pesante du début du film et les enjeux décisifs de la suite des évènements finissent par s'effacer au profit d'un renouement avec les choses simples. Et la raison principale de cette transition est l'arrivée au sein des cardinaux d'un psychologue caractériel et culotté qui va transformer l'attente en plaisir. C'est sous cette forme que le film prend une direction amusante, puisque le mythe du sérieux et du silence qui englobe ce lieu sacré devient un espace léger où l'on peut jouer, crier, chanter et même danser.
Mais ce double récit n'a qu'une durée limitée, le sablier du temps continuant de s'écouler, provoquant la jonction inévitable qui rattrape les personnages. C'est une sensation de perte qui finit par s'abattre sur nous, il n'y a pas de tête vers qui se tourner, pas de cape rougeoyante à applaudir avec émotion, il n'y a qu'une ombre au balcon qui semble nous rappeler la recrudescence et la quasi-condamnation du monde religieux. Nanni Moretti réalise donc un coup de maître, qui appelle autant aux rires qu'aux réflexions, sur un sujet qui varie aussi bien de questions existentielles sur la vie et ses regrets en allant jusqu'au regard sur la religion et son avenir incertain. La dimension artistique juxtapose tous ces éléments et toutes ces idées grâce à un tour de force admirable, celui d'unir les spectateurs non pas sous la bannière d'un mode de pensée mais sous la bannière du génie.