Tout commence par une brillante idée de comédie : Melville, accédant à la papauté, se retrouve effrayé face à des milliers de fidèles attendant impatiemment le nouveau visage du Vatican. Fumée blanche, balcon surplombant, attente d'un peuple. Mais, ô surprise, le nouveau pape est parcouru d'un effroi que ses disciples ne comprennent pas. Fuyant sa tâche, restant dans l'ombre et laissant l'Italie et le reste du monde dans l'incompréhension et le questionnement, Melville se voit confronté (au sens cinématographique du terme), à un psychanaliste envoyé par l'église pour résoudre le problème et lui redonner courage et conviction. Le face à face, léger, entre deux pantins, le civil sous l'emprise d'une icône et l'icône manipulée par le civil, est une véritable idée de comédie car elle engage le combat humain de la parole entre le microcosme et le macrocosme, la petite foule et sa grande institution, l'Italie et son église. Pour autant, rien de religieux dans le film de Moretti, bien au contraire. "Habemus Papam" n'est ni un mélodrame de la foi ni une farce bouffone, juste une comédie que l'on pourrait qualifier d'antique tant elle ne répond à aucun code temporel comique qui se rapprocherait réellement de la comédie contemporaine. C'est une comédie de l'esprit humain, forgeant un rire que l'on suppose athéiste et dont l'unique message serait l'ôde à la vie et à la liberté intellectuelle, et par-là même la constatation d'un univers factice, qu'il s'agisse de celui dans lequel évolue le cardinal Melville et ses règles, ou bien celui du psychanaliste et de ses analyses grotesques. La grande idée du film est tout d'abord de faire de l'un et de l'autre les prisonniers d'un code, social d'un côté (le psychanaliste qui ne connaît que des psychanalistes), religieux de l'autre, voire même médical ou carcéral (le Vatican et son cercle fermé). C'est en cela qu'"Habemus Papam" ne dénonce rien mais constate que, roi ou clochard la tristesse est un même sentiment. Melville, touchant et taiseux, pris soudain d'une envie de liberté, s'enfuit lors d'une scène comique dans les rues du Vatican et redécouvre avec nous ce qu'est le monde autour. En revanche, si l'on voudrait croire que le psychanaliste (interprété par Moretti lui-même, judicieux choix qui l'oppose ainsi métaphoriquement comme le cinéaste dirigeant son acteur) n'apprend rien de ses vacances forcées au sein du Vatican, il lui arrive toutefois de s'y méprendre et d'oublier ses méfiances et son scepticisme au profit d'un bonheur organisé entre lui et les cardinaux autour d'un match de volley. Le film est toujours là où il faut ; du côté du Pape fuyant et, en même temps, du psychanaliste prisonnier de ses fonctions inabouties. Les rôles s'échangent, le psychanaliste que l'on croyait libre se retrouve enfermé, et le Pape anciennement pantin trouve sa liberté et sa joie dans la fuite. Ce qui rend l'approche et la sourde émotion du film universelle ne tient pas dans l'idée de 'filmer le peuple' mais uniquement de le représenter humainement par deux faces, à la fois celle d'un homme à priori commun qui exerce son métier dans un bureau et l'autre, à priori divine et symbolique, qui perd pied. "Habemus Papam" repose sur une véritable science de l'à priori qui en fait toute sa force. Film sur l'apparence et les milieux, sur le clivage entre humanité et divinité, la comédie y apparaît comme le seul moyen de faire transparaître une gamme d'émotions profondes qui ne tiennent pas du "Lacrymosa" mais plutôt de la Comedia Dell'Arte. Soit le film est drôle dans ses décalages (notamment celui, peut-être un peu trop appuyé, du match de volley), soit il est juste simple et normal lorsqu'il touche à une vérité humaine qui nous porte tous : l'envie d'une liberté d'être et d'action, sans forcer le trait de l'exercice philosophique et existentiel ni chercher l'émotion là où elle ne sert rien. Il n'est évidemment pas anodin de voir que le parallèle établi par Moretti avec la troupe de comédiens en pleine production se greffe à l'apparence déjà surjouée du Pape dans son royaume. On apprend ensuite, naturellement, que ledit Pape est en fait comédien raté, déçu à vie de n'avoir pu réaliser ce rêve que sa soeur aura su quant à elle prendre au vol dans sa jeunesse. La théâtralité du monde populaire et celle, plus surnaturelle, du Vatican, se trouvent reliées de manière tout à fait subtile au point que le Vatican devient grâce au psychanaliste une aire de jeu et de mesquineries hilarantes, alors que les rues de la ville ne sont peuplées dans le film que de ces comédiens que Melville se met en tête de suivre en espérant y trouver un rôle à sa taille. Sublime la scène où, effacé dans la salle vide d'une répétition et juste derrière un metteur en scène qui dirige ses acteurs, Michel Piccoli insiste en lui disant qu'il peut jouer le rôle, tchekhovien. L'oreille injuste du metteur en scène n'y prête aucune attention et l'homme fait mine de ne rien entendre. Plus tard, lorsque Melville se retrouve au bal