Le pape est mort après une longue maladie. Sitôt les funérailles achevées, c'est l'heure du conclave et voilà la centaine de cardinaux électeurs enfermés dans la Chapelle Sixtine. Aucun des 2 ou 3 "favoris" ne se détachant, c'est finalement un "outsider", le Français Melville (Michel Piccoli) qui est élu. Mais cette responsabilité écrasante le cueille à froid et il refuse d'aller bénir la foule immense qui se presse sur la Place Saint-Pierre, arguant seulement être dans l'incapacité totale de le faire. S'étant assuré que le mal n'était pas physique, le "porte-parole" de l'Etat du Vatican (curieusement un laïc) fait mander un psychiatre réputé (Moretti lui-même), qui s'essaie immédiatement à analyser l'illustre patient, séance suivie par un auditoire inédit de cardinaux. L'état du nouveau pontife s'aggravant, le communicant vaticanesque l'"exfiltre" jusqu'au cabinet de l'épouse du psy, dont ce dernier vante volontiers les mérites. Aussitôt sorti Melville entreprend une balade dans Rome, réussit rapidement à fausser compagnie à son escorte et se perd dans la foule, protégé par un anonymat encore intact : c'est le début d'une escapade de trois jours, tenue secrète par le porte-parole défaillant qui réquisitionne un garde suisse pour jouer les ombres chinoises aux fenêtres de l'appartement papal et entretenir ainsi la fable du pontife qui se repose. Quelques péripéties plus tard, la supercherie étant éventée et l'élu refusant de réintégrer ses pénates, une pittoresque expédition est organisée pour le faire revenir de force. Alors, ces trois jours n'auront été qu'une parenthèse en forme de doute, somme toute compréhensible, avant les débuts "sérieux" du nouveau pontificat, un léger différé avant l'effectivité du traditionnel "Habemus Papam" qui tenait en haleine la communauté catholique (un milliard de personnes, quand même !) ? Pas si sûr...
Nanni Moretti a ici écrit et réalisé de main de maître une subtile charge contre la religion, en aucun cas maladroitement frontale, partant d'une satire plutôt gentille des us et coutumes du Vatican, petit théâtre des ridicules, croqués avec vivacité et malice - microcosme de hauts prélats du troisième (ou quatrième) âge ayant une nette tendance à retomber en enfance, de religieux de rang inférieur style personnel de service (religieuses et prêtres divers), sans oublier les fameux Gardes suisses avec hallebarde et uniforme dessiné par Michel-Ange, petit univers clos et ronronnant quelque peu malmené par le psychanalyste retenu pour des raisons de confidentialité et qui joue avec bonhomie les perturbateurs (cf. le savoureux championnat "intercontinental" de volley). La fugue du pape a cependant pour effet principal de lui remémorer sa vocation première, sur la piste psychanalytique : celle de comédien - ce qui est plutôt inattendu - et c'est d'ailleurs dans le théâtre où il assiste à une étrange représentation de "La Mouette" que ses électeurs drapés dans la pourpre cardinalice s'assurent de sa personne pour le ramener au bercail. On peut dès lors douter d'une fin classique, "religieusement correcte", quand le pontife prodigue commence (avec trois jours de retard) son homélie post-élection depuis le balcon dédié, son identité enfin révélée. Le successeur de Pierre proclame en effet son incompétence devant une foule médusée - ce n'est plus du doute (passager et admissible) c'est une démission, et pour le cinéaste, qui finit à dessein en pointillés, assurément le triomphe d'un solide athéisme personnel. Comment Dieu pourrait-il survivre à cet abandon de son représentant sur Terre ? Encore un film injustement oublié par le dernier palmarès à Cannes, car que l'on adhère ou non au propos iconoclaste de Moretti, force est de constater l'intelligence de la présentation, et l'excellence de l'interprétation comme de la mise en scène. Un "5 étoiles" d'évidence.