Quel bonheur, ce film.... qui flirte avec le chef d'œuvre. Habemus Papam m'a coupé le souffle. Première chose: il n'a rien d'anti-clérical. J'ai entendu un de nos édiles ecclésiastiques proférer cette phrase "j'ai vu un film brillant, mais pas priant". Ce qui n'est pas brillant, Monseigneur, c'est de dire cela car le héros, le cardinal Melville, est tout au contraire un être priant, comme on en rencontre peu. Rendons grâce à Michel Piccoli. Le Piccoli, il en a interprété, des rôles de salaud! Eh bien, c'est à peine croyable, dans le rôle de Melville son visage, que l'âge a adouci, rayonne de bonté. Magnifique. Donc, on est en conclave, et le cardinal Melville finit par être élu pape au terme d'une de ces élections où les favoris en viennent à s'annihiler et où surgit un inconnu. Accepte t-il? Dans un premier temps, il est comme émerveillé de ce qui lui arrive, de la reconnaissance de ses pairs. Sur le visage de Piccoli, se mélangent l'incompréhension, une espèce d'allégresse, puis déjà la crainte, et au moment de se présenter au balcon pour dire ses premiers mots, c’est le refus. La fuite. Melville erre dans la Ville. Il rencontre une troupe de comédiens qui répète du Tchekov, son auteur préféré. Il réfléchit, il revoit sa vie. Comment, lui qui a été recalé au concours d'entrée au Conservatoire, pourrait il assumer le cinéma qu'on demande au Souverain Pontife.....
Voilà, c'est l'histoire d'un homme honnête qui toute sa vie a essayé de faire bien, et à qui on demande de faire quelque chose qu'il ne se sent pas capable d'assumer. Ça pourrait être un homme politique, ou un chef d'industrie (sauf que ceux la n'ont jamais l'humilité de se croire inférieurs à leur poste...) mais c'est un Pape…. Le personnage de Melville est magnifique. L'humanité que lui confère Piccoli est renversante. C'est un grand, grand film, qui nous montre un personnage magnifique... sur fond d'histoire cocasse.
Car le porte parole du Vatican, le seul laïc de la bande (Jerzy Stuhr) a eu l’idée, puisqu'il y a blocage, de faire venir un psychanalyste. C'est là qu'intervient Nanni Moretti, l'acteur, qui comme d'habitude s'est réservé le rôle le plus ridicule. Psy cocu, abandonné par sa femme (qui ne supportait pas qu'il soit plus grand psy qu'elle), tout à fait bonasse, il accepte ce qu'on lui demande: un traitement analytique en public, devant le conclave, et à condition d'éviter tous les mots comme: sexe, enfance.... Évidemment, l'analyse tourne court. Le porte parole a une idée (plus calamiteuse encore que la première): exfiltrer Melville pour qu'il suive une véritable séance, chez cette femme puisqu'elle serait aussi une excellente psy. Reste que Melville ne peut rien dire, en particulier lorsque la psy essaye de savoir ce qu'il fait dans la vie, jusqu'à ce qu'il se rappelle ce dont il avait rêvé pendant sa jeunesse: je suis acteur, dit-il. C'est à ce moment que, sur le chemin de retour au Vatican, il peut fausser compagnie à son escorte. Le porte parole a une idée (encore!): faire croire à tous que le Pape est retiré en prière dans ses appartements. Un garde suisse est chargé de remuer les rideaux, de se faire apercevoir fugitivement, d'allumer la télévision, et d'engloutir des plateaux de nourriture.
Donc notre psy bien que parfaitement athée, copine avec les cardinaux qui pensent le nouveau Pape en prières dans ses appartements et tente de préserver leur santé en organisant des matches de basket. Donc, voyez: il y a le côté vraiment comique, mais sans méchanceté, de la vie qui s'organise au Vatican pendant que le porte parole essaye désespérement de s'en sortir, et côté mélancolique et grave de l'errance d'un homme qui cherche à comprendre ce qu'il a à faire. Et ça, cette opposition rire /profondeur, c'est la marque d'un formidable cinéaste.