La fuite de Melville, au propre comme au figuré, devant l’énormité des responsabilités, provoque la consternation et la panique qui conduisent les cardinaux à recourir aux services d’un psychanalyste de renom. Interprété par le cinéaste lui-même, le médecin est un fort en gueule sentencieux, dont la science paraît bien légère et approximative pour pouvoir résoudre quoi que ce soit, tout au plus excelle t-il à titiller et réveiller l’esprit – et même le corps – de ces grands enfants taquins et espiègles que sont les cardinaux. L’organisation de matchs de volley entre les différents continents représentés par les éminences constitue le paroxysme du burlesque. Tandis qu’à l’intérieur de l’enceinte du Vatican, on temporise au mieux, Melville, échappé et solitaire, déambule dans les rues romaines où il rencontre une troupe théâtrale jouant Tchekhov. Un curieux raccourci pour celui qui confessait avoir voulu être comédien de théâtre dans son enfance. Ces instants de liberté totale – puisque personne encore ne connait les traits du nouveau pontife – d’errance et d’observation sont de véritables moments de grâce. Une douce mélancolie les envahit, portée par la puissance d’évocation du jeu de Michel Piccoli, promenant un regard étonné et presque enfantin sur le monde qui l’entoure, qu’il semble redécouvrir, sinon voir pour la première fois. Outre que le réalisateur de La Chambre du fils en profite pour remettre le pape à la place légitime qu’il se devrait d’occuper, c’est-à-dire au milieu et au plus près des fidèles modestes et anonymes, il réfléchit par la même occasion à l’exercice du pouvoir suprême, synonyme de solitude, de distance et d’éloignement. La fin à la fois inattendue et logique dépasse d’évidence les frontières du Vatican et du rôle du pape. En déclarant publiquement son incapacité à être un guide pour les millions de personnes qui l’envisagent ainsi, Melville devient soudain l’étendard ou le révélateur d’une impossibilité bien plus universelle. Comme si, à lui seul, il concentrait et mettait à jour l’incompétence des dirigeants du monde, déboussolés et perdus, préférant la démission. Ce qui s’avère un geste héroïque et politique, que l’on aimerait voir s’accomplir plus souvent.
Apparemment léger et badin, Habemus Papam abandonne peu à peu les cardinaux à leurs facéties et leurs chamailleries pour suivre les pas mesurés et déterminés d’un vieil homme fatigué, mais terriblement lucide sur ses limites. Un homme à la fragilité touchante, à la vulnérabilité désarmante, qui sait bien que sa liberté demeure à présent sa richesse la plus précieuse. Et, mine de rien, sans effets appuyés, renvoyant dos à dos la religion et la psychanalyse, comme deux remèdes inopérants à la détresse humaine, Nanni Moretti livre un de ses films les plus importants.