De la part de Nanni Moretti, sur un tel sujet, on pouvait s'attendre à une satire très critique, à la manière de ce qu'il avait fait (ou voulu faire...) dans Le Caïman, tableau de la société italienne sous Berlusconi. Mais cet Habemus papam n'a rien d'un pamphlet anticlérical. Le réalisateur revient au thème de la religion, vingt-six ans après La Messe est finie, et choisit un ton assez proche, cocasse et doux-amer, l'aspect comique étant ici plus développé. La Messe est finie présentait la désillusion d'un curé ayant perdu tous ses repères dans le monde contemporain et perdant peu à peu sa foi en l'homme. Dans un autre cadre, celui du Vatican, Habemus papam présente aussi un homme perdu, dont les repères quotidiens disparaissent alors qu'il est appelé aux plus hautes fonctions pontificales. Il ne perd pas sa foi en l'homme, ni sa foi tout court, mais sa foi en lui, soudain incapable d'agir, écrasé par le poids de sa mission et de ses responsabilités. Crise personnelle et crise du pouvoir : comment assumer tout un passé et ouvrir la voie de l'avenir ? Comment être guide après avoir été toujours guidé ? Quelle est la part de liberté individuelle dans un mouvement collectif ?
Nanni Moretti croque le portrait d'un homme commun et tourmenté, avec tendresse et sensibilité. Jamais il ne se moque de lui. Son regard amusé se porte davantage sur les conséquences de ses tergiversations : désordre au Vatican, jeux de communication tout empreints de mensonges... De la séquence inaugurale du vote, mise en scène comme une séquence de classe d'école, au tournoi de volley organisé dans la cour (de récréation), en passant par la fugue (du premier de la classe), le réalisateur s'amuse à dépeindre ce petit monde comme un monde de grands enfants. Il se fait plus ironique lorsqu'il évoque les journalistes et leur traitement creux d'informations creuses, ou encore les psychanalystes (thème fétiche depuis longtemps), prétentieux, prompts à appliquer des grilles d'analyse toutes faites... L'immersion forcée de l'un d'entre eux, interprété par Moretti lui-même, en terres religieuses est assez jubilatoire.
Au final, Habemus papam n'est certes pas parfait (il y a quelques longueurs, notamment lors de la fameuse partie de volley), mais s'impose par son originalité. Le film permet aussi à Michel Piccoli de montrer, une nouvelle fois, l'immensité de son talent. Son jeu est d'une subtilité impressionnante. Ce qu'il parvient à exprimer en un gros plan de quelques secondes, au moment où son personnage apprend qu'il est élu (mélange d'incrédulité, d'émotion, de joie et d'angoisse), est fabuleux.