Réalisateur de documentaires, Léandre-Alain Baker signe avec Ramata son premier long métrage de fiction. Parmi ses reportages, on retient Diogène à Brazzaville, où il dresse le portrait de l'écrivain Sony Labou Tansi, lequel a dénoncé le système dictatorial et corrompu qui règne en Afrique. On note également Tchicata, autre portrait d'écrivain. Cette fois, il s'agit du poète Tchicaya U Tam’si (pseudonyme qui signifie "petite feuille qui parle pour son pays"). Baker est lui-même romancier de plusieurs ouvrages dont Ici s'achève le voyage, Les jours se trainent, les nuits aussi et L'enfer comme station balnéaire. Il a aussi réalisé quelques courts métrages de fiction.
Le titre du film est aussi le nom de son personnage principal joué par Katoucha Niane. Il s'agit d'une femme ravagée au triste destin. Déconnectée de la réalité, elle se rattache à son immense pouvoir de séduction naturelle. Léandre-Alain Baker dit qu'elle est "une terre craquelée qui attend la pluie", un peu à l'image du continent africain. Cependant, Ramata incarne également l'idée de la femme libre, qui reste sincère avec elle-même. Elle ne craint pas le temps et conserve sa beauté originelle, comme si son corps était amené à garder éternellement sa jouvence.
Née en 1960, Katoucha Niane a été l'une des premières top-models africaines à acquérir une reconnaissance internationale. Elle a participé aux défilés des plus grands couturiers comme Yves Saint-Laurent ou Christian Lacroix, et a tenté une carrière de styliste. Elle a également publié son autobiographie, intitulée Dans ma chair, où elle dénonce la pratique coercitive de l'excision. Peu après le tournage de Ramata, Katoucha est tragiquement décédée dans la nuit du 1er au 2 février 2008, dans des conditions qui restent encore non éclaircies. Le film de Léandre-Alain Baker est donc son premier et dernier rôle au cinéma.
C'est à la suite d'un dîner que le producteur Ndiouga Moctar Ba a convaincu Katoucha Niane de jouer dans Ramata. La mannequin s'est aperçue des nombreux points communs qu'elle partageait avec le personnage qu'elle allait interpréter. Parmi ces similitudes qui, à ses yeux, sont saisissantes, Katoucha évoque en premier lieu la "capacité d’aimer l’Amour. De tout laisser pour cela. Ramata est un peu fêlée comme moi. Elle est aussi entière. Au-delà du fait que j’ai été top-modèle, j’espère que j’ai été choisi pour autre chose que pour ma plastique. Car je porte Ramata en moi. Elle s’assume et se dévoile à 50 ans, tout comme moi à 47 ans avec la sortie de ma biographie. Ce tournage m’a fait revivre des moments de vie personnelle, avec des coïncidences troublantes…", confiait-elle.
Viktor Lazlo, de son vrai nom Sonia Dronier, est une chanteuse franco-belge d'origine africaine. Son pseudonyme masculin, elle le tient du personnage de résistant joué par Paul Henreid dans Casablanca. Elle a enregistré de nombreux albums dans l'esprit pop-jazz et apparaît dans plusieurs séries télévisées dont Commissaire Moulin, Soeur Thérèse.com, La Crim' ou Navarro.
Même si Ramata reste en premier lieu un mélodrame, Léandre-Alain Baker a voulu proposer une hybridation de différents genres, empruntant notamment des codes au polar, à la comédie de moeurs ou encore au conte philosophique.
La structure de Ramata convoque des éléments narratifs qu'utilise le conte africain : un bonimenteur raconte l'intrigue à un autre personnage du film, sans s'adresser directement au spectateur. De plus, le récit a été imaginé comme "une page d'écriture calligraphiée avec ses pleins, ses déliés, et ponctué par des fondus qui nous entraînent vertigineusement vers l’intrigue principale", comme l'explique Léandre-Alain Baker.
Le récit de Ramata porte en grande partie sur la culture Sérère encore méconnue aujourd'hui. Pourtant, le célèbre poète Léopold Sedar Senghor (qui fut aussi le premier président du Sénégal) est originaire de cette ethnie. Elle fut pour lui une importante source d'inspiration pour ses écrits et pour sa réflexion philosophique. Les Sérères représentent la troisième population la plus importante au Sénégal. Ils possèdent un système de croyance très spécifique, comme l'explique Léandre-Alain Baker: "Chez les Sérères, il n’y a pas de frontières entre les morts et les vivants, entre la réalité et la fiction, entre le présent, le passé et l’avenir." Le cinéaste affirme en outre que la mythologie Sérère a énormément de points communs avec les tragédies grecques.
Le réalisateur a souhaité questionner le fatum ("fatalité" en latin) à travers son personnage principal. Cette dernière est victime d'une malédiction qui la suit depuis son enfance, liée à un acte qu'elle a commis. Elle cherche à s'en libérer, et cela passe par une "démence expiatoire". En Afrique, l'idée de malédiction est très répandue, du fait des techniques d'ensorcellement et de maraboutage. Ces procédés cérémoniels font partie intégrante des cultures locales, au-delà même des simples croyances.
Léandre-Alain Baker a refusé d'observer ou de décrire le quotidien d'une ville ou d'un pays africain, avec ce que cela comporte de clichés et d'images de cartes postales. Il a décidé de focaliser sa caméra sur le corps des personnages plutôt que sur l'environnement qui les entoure.
Les techniques d'éclairage et de luminosité sur le tournage de Ramata tranchent avec celles utilisées pour la majorité des films qui se déroulent sur le continent noir. Léandre-Alain Baker souhaite se démarquer de ses contemporains qui surexploitent l'écrasant soleil africain. Il a ainsi fait le choix de proposer une atmosphère opaque et assombrie. Ramata s'inspire en cela du travail de photographie effectué sur plusieurs films japonais des années 60 comme Onibaba (1964) de Kaneto Shindo, La Femme des sables (id.) de Hiroshi Teshigahara et plus généralement les œuvres de Yasuzo Masumura.
Selon son réalisateur Léandre-Alain Baker, Ramata est un film qui propose un portrait de l'Afrique d'aujourd'hui, aux prises avec ses propres régimes de croyances. Le récit tient en une métamorphose, métamorphose du personnage principal mais aussi de tout son environnement. Katoucha Niane affirme également que le film va permettre aux femmes africaines de s'interroger sur leur propre condition. Mais au-delà du contexte africain, Ramata se veut une oeuvre à portée mondiale. Katoucha affirme à ce propos que "Ramata est vraiment une femme. Elle n’est pas forcément une Africaine, elle est universelle". Le producteur Ndiouga Moctar Ba cherchait lui aussi à faire un film qui ne soit pas seulement vu comme un simple objet estampillé "film africain".
Katoucha Niane s'est attachée à son personnage au point qu'elle a eu du mal à s'en remettre. Elle n'en aura en outre pas la possibilité, ayant tragiquement disparu à son retour en France. A la fin du tournage, elle affirmait néanmoins de façon laconique mais suggestive: "J’ai dorénavant plus de respect pour les acteurs. Je me rends compte de la difficulté de ce métier. (...) Je ne sais pas si je vais refaire du cinéma ou pas".