A mon grand étonnement, je me suis laissé happé par l’abattage promotionnel de ce « Barbie » durant mon passage de trois jours à Paris, en juillet dernier.
Je ne devais pas être le seul.
Ce n’était pas une priorité mais les noms de Greta Gerwing, Margot Robbie et Ryan Gosling ajoutés au titre « Barbie » avec une affiche où je soupçonnais un côté déjanté avaient de quoi susciter ma curiosité.
Donc après « Limbo », le grand écart avec « Barbie » !
En principe, tous les cinéphiles aiment à faire de grands écarts.
J’ai aimé l’introduction : ce délire « Odyssée de l’Espace » où des petites filles jouant au poupon - préfigurant ainsi leur condition de futures femmes au foyer -, se retrouvent confrontées au monolithe Barbie ; poupée révolutionnaire, dressée sur la pointe de ses pieds lui donnant un corps magnifiquement élancé, un sourire « commercial » (!) et à la poitrine généreusement équilibrée.
Fascinées par cette révélation, toutes les petites filles cassent leur poupon refusant ainsi leur futur schéma de femmes au foyer.
Barbie est synonyme d’émancipation de la femme.
Oui, de la femme car la réalisatrice nous dit en substance que Barbie peut continuer à rester un modèle pour les femmes.
J’ai bien aimé l’univers reconstitué de Barbie Land ; j’imagine aisément que nombre de petites filles se sont reconnues dans la manipulation des éléments traduits par Greta Gerwing.
« Barbie » ressemble à un jour sans fin où tout se répète.
La société de Barbie Land est purement féminine.
Devrait-on s’en étonner ?
Les Ken sont accessoires. Ils participent au décors. Ils ne sont pas pris a sérieux.
Maintenant que l’univers de Barbie est exposé, où tout semble se répéter, cette fable rose-bonbon peut-elle tenir dans la durée ?
La réponse est oui dans la mesure où la réalisatrice va pousser Barbie à visiter le monde réel, accompagnée de Ken.
Pour quelles raisons ?
Si j’adhère au délire qui consiste à voir Barbie poser soudainement ses pieds à plat sur le sol, j’adhère moins quand Barbie évoque la possibilité de mourir et encore moins d’envisager plus tard de devenir humaine.
Peu importe, cet alibi scénaristique conduit Barbie et Ken à se confronter au monde réel ; si l’une ne semble pas rassurée par le regard des hommes, l’autre se voit subitement considéré.
A partir du moment où Barbie fuit de chez Mattel, je déchante un peu.
En compagnie d’une mère et de sa fille - fille que Barbie croyait être la cause de sa dépression (je n’en dirai pas plus) -, Barbie revient à Barbie Land « putchisé » par son ami Ken qui se la pète en installant une domination masculine.
S’ensuivront des pourparlers pompeux et barbants pour rétablir l’ordre sur fond de comédie musicale.
Durant cette longue partie, je m’interroge sur le point de vue philosophico-artistique de Greta Gerwing.
Passe encore le délire de Ken qui fait sa crise d’adolescent, que le récit passe d’un féminisme radical à un machisme radical ; mais que Barbie souhaite ne plus être une poupée mais un être humain à part entière, je ne le comprends pas vraiment.
Greta Gerwing veut-elle détourner l’objet-jouet Barbie à travers le jeu des petites filles ?
Doivent-elles être amenées à reconsidérer leur façon de jouer ?
Selon Greta Gerwing, Barbie dépasse l’ordre de l’amusement ; la poupée Barbie dépend du monde réel par la manipulation qu’en font les petites filles (ou les mères !) quand elles jouent, et en même temps, il semblerait que Barbie joue un rôle non négligeable chez certaines petites filles pour qui Barbie les a aidées à s’émanciper dans le monde réel !
Greta Gerwing me dit aussi à travers le personnage Sasha (Ariana Greenblatt), que Barbie ne représente pas toutes les femmes, elle est source de complexes, d’illusion, d’un capitalisme agressif. Elle est déconnectée de la réalité, donc du monde réel.
Il est vrai que les petites filles qui jouaient (ou jouent) avec leur poupon sont mères avec tout ce que cela implique : changer les couches, cuisiner, dinette, lever et coucher dans un berceau, promenade dans une poussette etc.
Ces petites filles sont ou seront connectées au monde réel car préparées à être de bonnes mères au foyer.
Pour moi Barbie ne se limite pas à sa plastique comme le sous-entend Sasha, Barbie dépasse cette notion physique. Jouer avec Barbie, c’est être copine, amie d’une jeune femme indépendante, qui a sa propre maison, sa propre voiture, qui a un beau métier et qui est habillée sexy et à la dernière mode, et surtout célibataire.
Barbie aussi prépare les petites filles au monde réel avec cette notion d’émancipation.
D’où la note féministe que revendique la réalisatrice.
Barbie stéréotypée est l’antithèse de « Toy story » ; les jouets n’ont pas pour objectif de sortir de leur condition de jouet, au contraire il veulent continuer à intéresser les mômes.
D’autres spectateurs ont convergé sur une autre thématique, le féminisme alors que moi je m’interroge sur le statut du jouet et de son inspiration.
Apparemment, je m’aperçois que Barbie est clivant et que Greta Gerwing semble dire tout le contraire de ce qu’elle prétend dénoncer.
(**) Voilà pourquoi, je rajoute quelques lignes à cette critique postée en juillet dernier après la sortie en salle.
Pour moi, la réalisatrice a surligné volontairement et grossièrement au fluo rose bonbon les revendications des unes et des uns. En récupérant leur autonomie, leur pouvoir, les Barbies affichent un féminisme radical, tout aussi condamnable qu’un pouvoir purement machiste.
On s’aperçoit que Barbie autorise les Ken à avoir d’autres fonctions que celles d’accessoires. Untel revendique d’être juge ou avocat, je ne sais plus, Barbie lui accorde cette prérogative mais dans un tout petit tribunal.
Et alors ?
Ce petit pas concédé par Barbie correspond au monde réel !
Eh oui, il fut une époque où la femme a enfin été autorisée d’exercer le métier d’avocat. Et encore, étouffée par le patriarcat qui se refusait à céder une once de sa fonction, une étagère même à une femme avocat !
Au début, les femmes autorisées n’exerçaient pas, elles étaient employées dans un cabinet avec le statut de secrétaire. Quand elles avaient le malheur ou le culot de revendiquer leur diplôme, non seulement on les rabrouait mais on les raillait !
« Ce n’est pas de mon vivant qu’une femme sera avocat !» entendait-on dans les couloirs des palais de Justice. Et c’était à bon escient qu’on employait le mot avocat au masculin !
Bref, ce qu’on reproche avec virulence à la réalisatrice me paraît quelque peu exagéré.
Et moi ? M’évertuer à trouver une signification à la vision de Greta Gerwing sur la déprime de sa Barbie-jouet, n’est-ce pas exagéré ?
La réalisatrice ne fait que restituer l’univers de Barbie Land.
A ce que je sache, l’univers de Barbie Land est constitué de femmes émancipées appelées toutes Barbie.
Si Barbie concède avec parcimonie des prérogatives aux Ken, petites soient-elles, ce n’est pas pour fustiger les hommes du monde réel, c’est pour calquer, dans le monde réel, la progression lente très lente de l’émancipation de la femme.
Il n’y a aucun esprit de revanche, de reproches, d'agressivité dans la démarche artistique de Greta Gerwing.
L’univers de Barbie est à l’image d’un monde réel, fut-il dépassé (et encore !) ; il y a dans ce monde réel des endroits où les femmes ne sont pas autorisées à s’émanciper.
La vision de Greta Gerwing restitue une actualité. La révolution des Ken est en marche. Ken va finir par s’émanciper au pays des Barbie.
Il suffit d’être patient.(**)
Mention très bien aux deux acteurs, à Margot Robbie en tête. Son personnage m’a particulièrement ému ; son regard sur le monde réel et sa dépression qui s’en est suivie m’ont touché. La réalisatrice ne s’est pas contentée d’affubler sa Barbie stéréotypée d’une seule émotion, elle a submergé Margot Robbie de plusieurs émotions. Elle est rayonnante et émouvante. Ses regards portés sur de vieilles femmes, celle de l’arrêt du bus et de sa créatrice, et sa maladresse à boire le thé m’ont touché.
Quant à Ryan Gosling, son interprétation de benêt maladroit est jouissive. Surtout dans sa partie musicale.
Justement, la réalisatrice m’a surpris dans sa mise en scène avec le genre comédie musicale.
Je me suis posé trop de questions, « Barbie » n’est peut être rien d’autre qu’un spot publicitaire à la gloire de Mattel.
Je salue Mattel pour son autodérision, au passage !
En tout cas, je ne pensais pas m’étaler à ce point ; « Barbie » m’a bien fait babiller !
Greta Gerwing a réussi ce tour de force de provoquer du débat. Preuve que son film n’a pas du tout l’innocence de sa poupée.
Quand « Barbie » passera sur le petit écran, je ne manquerai pas de le revoir, sait-on jamais, une seconde lecture peut m’amener à reconsidérer ma note.
J’ai tenu parole, j’ai revu Barbie sur petit écran pour ajouter quelques lignes (celles encadrées par de petites étoiles) pour lesquelles le modérateur m’a censuré !
Allez savoir pourquoi.
Comme je suis têtu, je la réédite en ce mois de février 2024…
A voir en V.O si vous voulez...