Ce n'est pas un hasard si Jacques Audiard enchaîne les réussites, pourtant trop peu nombreuses ("Sur mes lèves", "De battre mon coeur s'est arrêté"), et ce n'est pas non plus un hasard s'il est sans aucun doute le meilleur réalisateur français en activité. 3 ans après son chef-d'oeuvre "Un prophète", Audiard s'attaque au destin de deux personnages, qui d'apparence tout les oppose, mais qui finiront par ne plus se quitter.
Toujours aussi pudique et impressionnant de maîtrise derrière la caméra, le réalisateur nous offre des images sublimes, des plans toujours plus proches des acteurs. Le duo Cotillard/Schoenaerts dégagent une puissance dévastatrice en incarnant des personnages écorchés vifs, noyés dans le malheur, et il n'est pas rare d'avoir quelques frissons dans le dos tant leur investissement se fait ressentir. Entre éclats de rires et larmes, le spectateur est comblé, et c'est le plus beau cadeau qu'on puisse lui faire.
Sous une apparence désordonnée, à l'image de ce couple paumé, l'histoire fait sens, le récit reste parfaitement fluide et organisé. Si les péripéties tragiques (les jambes de Cotillard, le lac gelé à la fin) tombent un peu comme un cheveu sur la soupe, leur traitement n'en est pas pour le moins bouleversant, intense. Entre séquences violentes (les combats clandestins), et purs moment de grâce, Audiard vise juste à chaque instant.
Toute compassion est mise de côté, afin d'éviter de sombrer dans le mélodrame gratuit à base de guimauve. L'histoire reste brute, crue et sans pitié, à l'image du personnage joué par Schoenaerts, qui gère le handicap de Cotillard avec une distance froide. Bon sang, faut le dire, mais c'est quand même vachement beau.
"De rouille et d'os" vaut donc avant tout pour sa force d'interprétation et pour le talent artistique d'Audiard, dont le secret n'appartient qu'à lui. Telle une tragédie classique, le cinéaste propose deux portraits vulnérables, lâchés par le destin, menant chacun leur propre combat : celle d'une vie.