On va à Venise au Guggenheim affleurant l'eau du Grand Canal voir les toiles de Jackson Pollock qui s’inventent en direct sur la surface, le peintre projetant, laissant couler la peinture elle-même directement par un trou percé dans le pot, chaque touche et chaque couleur va se répartir ici, là, déborde, dépasse les bords, se superposent, se recomposent, annulent parfois soudain les précédentes, modifiant tout à coup le rapport avec le fond, dans un mouvement perpétuel en avant, sans jamais revenir en arrière. Les films de Mendoza, eux viennent jusqu’à nous, et c’est la même sensation, le même rapport à la surface, au cadre, les pots de peinture et le pinceau remplacés par la caméra, portée à bout de bras, corps à corps avec la matière, coulée du temps réel qui imprime sa trajectoire à mesure, vivante, tempo imposé par les sujets (ici deux grands mères opiniâtres), du cinéma qui éclabousse, capte, balaie largement hors du champ, pendant que la grand-mère tente d’allumer une bougie contre le vent et le déluge, maintenant de l’autre main son parapluie défoncé, des enfants jouent, regardent l’opérateur tourner. Tel quel, sans appuyer visuellement ou émotionnellement (aucun misérabilisme donc), d’un trait, d’un geste, se montre à l'état brut ce quartier de Manille, insalubre, grouillant, l’âpre lutte quotidienne pour survivre, pour la dignité des siens, négocier, vendre, marchander, donner, voler, grappiller le moindre billet, demander de l’aide, avoir un portable ou ne pas avoir le téléphone du tout ; pêche miraculeuse et joyeuse ; majestueuse scène de procession funéraire : Pollock a opéré son 1er dripping sur une voile de bateau ; Mendoza brosse les cycles de l'humanité nue au raz de l'eau sur les gondoles fragiles et lentes qui balancent dans le quartier Malabon. N'étant pas guidé par la réussite, la connivence, la séduction, Mendoza déplait à qui voit bêtement de l'exotisme dans des scènes tout à fait quotidiennes pour un philippin ou pour qui connait un peu l'Asie