Nicholas Winding Refn s’entoure à tous les coups d’une bulle qui prend parfois la forme d’une étoile dans le ciel cinématographique, Drive, ou comme ici d’une bulle opaque, aux teintes mates. S’amusant concrètement ici à prendre le public, adorateur de son séjour à Los Angeles à contre pied, le cinéaste danois embourbe son film dans le marécage urbain thaïlandais pour n’en faire ressortir que les aspérités métaphoriques. Alors que la cascadeur mutique de son précédent film était l’archétype de la machine vengeresse dans toute sa splendeur, ici, la même figure, Ryan Gosling, devient l’être faible parmi la monstruosité. Sous ses allures de durs à cuire, notre anti-héros du moment n’est que l’uns des instruments d’une mère machiavélique, d’un trafic peu scrupuleux dans un pays exotique qui prend souvent des allures d’enfer, d’où cette propension à vouloir illuminer d’un rouge pourpre toutes les scènes du film.
Il y aurait tant à dire à propos d’Only God Forgives, film métaphorique d’une violence presque inouïe qui renvoie aux vestiaires la thématique du héros hollywoodien. Sans doute surpris lui-même du succès critique et public de Drive, Refn en revient à s’enfermer dans sa bulle opaque pour délivrer un film mutique qui détruit sur son passage l’iconique archétype de l’héroïque occidental en terre étrangère. Ce petit jeu, la déshumanisation de l’homme blanc, la sauvagerie de l’homme asiatique, en parfait désaccord avec l’image de Drive n’est certes pas désagréable mais aura sans doute fait perdre patience à un bout nombre de spectateurs, déçus, malaisés ou se sentant trahi. S’il prend parfois des allures de film de vengeance traditionnel, OGF ne cesse, la scène suivante, d’en revenir au fameux concept propre à un cinéaste qui ne semble pas apprécier la célébrité.
Le constat est paradoxal pour ma part. En tant qu’adorateur de Drive, je ne peux que saluer ici la photographie, la mise en scène de Refn, sa propension millimétrée pour une violence si primaire qu’elle en devient d’un naturel oppressant. Que de classe lorsqu’il film ses personnages se déchaîner sur autrui, lorsque le personnage de Gosling pète son plomb pour massacrer deux bonhommes. La mise en scène d’Only God Forgives est à ce titre exemplaire, noble, d’une qualité artistique oppressante qui nous fait entrevoir Bangkok comme l’antre du démon, un démon étranger symbolisé en la personne d’un flic retraité idolâtrer par ses pairs. Chaque partie use ici de la violence comme bon lui semble, certain avec moral d’autres sans. L’archétype hollywoodien devient ici le méchant incapable de terrasser le mal. Oui, alors que le public prend parti, c’est finalement le monstre qui prend la forme de la seule humanité discernable.
Curieux film, à la fois attrayant et repoussant, jouissif et si ennuyeux. Alors que l’on pourrait débattre sur l’intérêt d’une telle violence, alors que l’on pourrait essayer d’y trouver un sens clair et précis, Nicholas Winding Refn poursuit sa route, celle d’un cinéaste que nulle morale ni barrières n’arrêtent. Le réalisateur ne semble pas proche de son public, ne semble pas se soucier des rentrées financières, ne faisant que développer ses fantasmes moroses à l’écran, utilisant ici Gosling pour l’écraser à proprement parler, faire du lui une victime misérable alors qu’il en avait fait un héros il y peu. On salue l’exercice même si l’on n’adhère pas vraiment à ce film, souvent ennuyeux même si parfois très puissant dans le ressenti. Drôle de manière d’apprécier le cinéma que de ne pas être déçu par un tel n’importe quoi, et pourtant !!! 12/20