En guise d'introduction, j'aimerais appuyer sur le fait que je poste très peu de critiques. Le simple fait que je sois en train d'en écrire une pour Only God Forgives est donc révélateur de l'importance que j'accorde à ce film. Pour moi, il s'agit là d'un film atypique, personnel, unique et novateur. Rien de moins.
La première chose essentielle dont il faut avoir conscience pour ce film, c'est qu'il s'agit d'une expérience. On ne se trouve pas ici face à une narration traditionnelle où le spectateur s'identifie au personnage et suit avec émotion son parcours. Cela peut déstabiliser et c'est à mon avis ce qui explique une partie des mauvaises critiques reçues par le film (sans compter les gens qui attendaient du Drive).
Non, il s'agit bien là d'une expérience que chacun vivra -à condition d'être réceptif- à sa manière. On se rapproche par certains aspects du jeu-vidéo, et par d'autres du rêve éveillé. Face au film, j'ai eu l'impression que j'avais un rôle à jouer et j'en suis venu à me demandé ce que je devais faire. Déstabilisant non ? Troublé, je suis resté dans l'incompréhension, me disant que le film resterait toujours exactement le même quoi que je fasse. Pourtant le fait était là : je sentais bien cette place dans l'univers du film, laissée au spectateur. Un véritable espace, à l'intérieur même de ce qui se déroulait à l'écran, que je pouvais choisir d'occuper ou non.
Ce n'est que plus tard que j'ai compris. Dans un film traditionnel, où l'effet du film est basé sur l'identification à ce qui vivent les personnages, le spectateur n'a pas vraiment de rôle à jouer. Les émotions transmises resteront toujours sensiblement les mêmes, indépendamment de sa volonté. Il est en position de recevoir.
Mais Only God Forgives est conçu différemment, conçu pour être une expérience. Si le spectateur décide d'occuper cet espace que le film lui donne - et qui est très liée au personnage de Ryan Gosling, un peu comme le wagon d'une attraction - il va se retrouver confronter à tous ces personnages, tous ces tableaux et ce qu'ils évoquent... A vrai dire, on se rend compte progressivement qu'il s'agit d'images, de représentations. C'est ce qui explique que l’extrême violence du film, à tous les niveaux, apparaissent au final comme peu choquante. Il s'agit d'un langage, d'une manière de parler de ce qui nous constitue tout au fond de nous-mêmes : nos besoins pulsionnels. Ceux qui sont là pour nous garder en vie : manger, se reproduire, se défendre face au danger... Nos instincts primaires mais essentiels.
Et que vous en soyez conscients ou non, ces besoins sont mis à rude épreuve par la réalité de votre vie quotidienne. Peut-être pas dans des proportions aussi extrêmes que pour le Julian de ce film, totalement émasculé par sa relation avec sa mère. Mais quand même, la vie est ainsi faite : elle met des obstacles à la réalisation de nos besoins pulsionnels.
Ce que propose Only God Forgives au spectateur, c'est un univers dans lequel il pourra exorciser ces maux là, se défaire des démons que ces brimades ont pu laissé en lui. C'est en ça qu'il met le spectateur au rang d'acteur, qui va vivre une expérience aussi intense que personnelle.
Il s'agit bien sur d'un chef-d'oeuvre étincelant, et certainement d'une future référence, pierre angulaire d'un genre qu'il aura lui-même contribué à définir. Le film est expérimental et difficile d'accès, mais si vous vous estimez assez ouvert à des choses (très) différentes et que vous êtes avides d'expériences cinématographiques nouvelles... N'hésitez pas une seconde, c'est celui-là que vous devez voir !