Quand on ne s'attend à rien, on a toujours plaisir à découvrir quelque chose.
En allant voir Donoma, j'obéissais un peu à l'appel du buzz que tout blogueur un peu consciencieux doit suivre. Donoma était dans mon esprit "le film à 150 euros et aux images floues". Traduisez, un peu cradingue, et probablement agressif et/ou ennuyeux.
Et paf, le film n'est rien de tout cela, il en est même le contraire, et d'une corvée plus ou moins agréable (cocher la case J'ai vu le film qu'il faut voir), le dimanche soir s'est transformé en pur moment de bonheur cinématographique.
Commençons par le début. La première scène happe littéralement l'attention. Toute les qualités du film s'y révèlent déjà en bloc : une attention extrême au jeu hypersensible des acteurs, une liberté totale du cadre, de la focale et des mouvements de caméra, un art du dialogue qui captive l'attention en empruntant systématiquement des voies surprenantes.
L'actrice Salomé Blechmans fait une entrée fracassante dans le film. Elle y sera magnifique de bout en bout, comme les autres femmes du film d'ailleurs. Le talent de Carrenard s'exprime pleinement avec ses interprètes féminines, toutes plus émouvantes les unes que les autres : Emilia Derou-Bernal, une prof d'espagnol embarquée dans un imbroglio diabolique, Laura Kpegli, photographe poétique qui invente un jeu absolument génial, Laetitia Lopez, émouvante en fille blanche de parents noirs. Une prestation collective impressionnante.
Les garçons sont bien aussi, mais je ne vais pas non plus en tartiner cinq pages, donc hop je passe à l'homme orchestre, à celui qui inspirera systématiquement les remarques du genre Mais y sort d'où celui là ?, Djinn Carrenard, monteur, producteur, ingénieur du son, réalisateur et directeur de la photo de son film. Pour ceux que ça intéresse j'ai trouvé une jolie petite biographie qui en dit plus sur le bonhomme, de ses origines haïtienne à sa carte UGC illimité (qui lui fait définitivement quitter la Sorbonne).
Vous me connaissez, j'ai souvent la dent un peu dure, mais ici à l'inverse - et ça me fait bizarre de le dire - il y a bien une étincelle de génie dans le travail de ce jeune réalisateur. Le film est complexe, puissant, et tout y semble incroyablement juste. Même les flous semblent tomber au bon moment. On a parfois l'impression de redécouvrir la puissance originelle du cinéma : des cadres qui n'en sont pas, des plans de coupe impromptus, des tangentes bizarres (les personnages revivent une scène en arabe), des plans osés (la superposition d'images dans le train), des inventions évidentes et sidérantes (le son qui s'arrête plusieurs minutes, les plans intégralement noirs dans la cage d'escalier). Tout semble évident et inventif à la fois, traversé par une énergie souterraine qui irrigue le jeu des acteurs, le scénario dans son ensemble, la bande-son (remarquable elle aussi) et le montage. J'ai pensé aux premiers films de Spike Lee, et aussi à la maîtrise de vieux roublard qui ont caractérisé les premiers films du tout jeune Fatih Akin (Head on par exemple).
C'est beau, c'est émouvant, c'est magique. Alors maintenant, trouvez vous une salle, et allez-y. Et en sortant, convainquez trois personnes d'y aller.
Plein d'autres critiques ici : http://chris666blogsallocinefr.over-blog.com/