Avec Vampires, John Carpenter désacralise l’idéal communautaire de la chasse aux monstres censée purifier une société par un travail collectif et purgatif : d’une joyeuse bande hautement virilisée qui prend la pose devant la vieille bâtisse maudite ne restera que trois survivants suite au carnage. Le carnage d’un seul. Guerre sainte que Carpenter aborde par le profane et la profanation – injures, blasphèmes, paroles dégradantes, coups et violences en tout genre – pour entreprendre un traitement de son sujet par le bas, par l’angle du médiocre. Ce faisant, le film dynamite les codes qui, d’habitude, rehaussent le masculin : sa domination sur la nature, sa compréhension du monde, sa mainmise sur la femme. La nature, c’est une contre-nature, sorcellerie qui découle directement des actions du protagoniste principal, et plus largement de l’Église, dans cette conviction que la communauté forge ses propres diables à combattre à mesure qu’elle prend de l’importance et persécute autrui. La compréhension du monde, c’est le discours scientifique et théologique ici balayé d’un revers de main au profit de l’expérience, seul véritable capital nécessaire à la survie de l’individu. Reste la femme, sans cesse insultée et exhibée sous toutes ses coutures, en dépit d’une misogynie dans laquelle Carpenter se garde bien de tomber. Car la haine des femmes n’est pas propre au cinéaste – loin de là – mais découle de la perception idéologique des hommes ici représentés : la femme est une menace dans la mesure où elle perpétue l’espèce, et ainsi la malédiction (qu’elle soit vampirique ou humaine). Notre figure centrale, au blouson noir et lunettes noires, exècre l’idée de reproduction, tout comme Carpenter déteste la répétition, ne pouvant supporter de se voir enfermer dans un genre ou dans une imagerie particuliers. Le propre de l’artiste est donc de faire cavalier seul ; et notre couple d’antagonistes constitue bien un couple d’artistes qui sait ménager ses effets (voir à ce titre la sortie de terre des maîtres-vampires). Car il s’agit bien ici de l’affrontement de deux solitudes, l’une physique et dont l’épreuve consiste à traverser le temps de l’existence humaine en acceptant de perdre ses proches et de voir sa famille – au sens étroit comme au sens large – décimée, l’autre métaphysique et qui puise dans l’immortalité à la fois son handicap et son désir d’absolu. Derrière les combats de clan, Carpenter rappelle qu’il se cache toujours un duel fondamental entre deux êtres, ici exacts opposés l’un de l’autre, et pourtant unis dans une même lutte étrangement religieuse dans ce qu’elle a de transgressif : le prêtre se mue en soldat de Dieu, en pièce du boucher ou en collaborateur détestable. C’est dire la grande fragilité des constructions humaines qui, bien qu’écartelées entre le Bien et le Mal, reposent sur un sol aussi mouvant que les tombes desquelles surgissent les démons. Le film se rend ainsi très malléable, laisse surgir l’horreur des grands espaces à l’abandon, fait naître les situations à partir des décors naturels : construit à la manière d'une guerre sainte, Vampires s’interroge sur la puissance des images et des idoles qui s’y logent, en montre la grande faiblesse. Derrière les représentations traditionnelles du bad guy au gros flingue, c’est tout un arsenal de modèles virils et religieux – les deux étant inextricablement liés – désormais inopérants, comme condamnés à s’égratigner jusqu’à la mort dans ce western crépusculaire admirable.