Le thème de la mort est le sujet philosophique le plus compliqué à traiter au cinéma, car s'il n'impose pas d'idées il reste trop flou, et s'il impose des idées il oppose par la même occasion les critiques et les spectateurs. Gus Van Sant choisi donc de se tourner vers un subterfuge idéal pour contourner ces difficultés et se permettre de ne pas aller trop loin dans une certaine vision du thème, sans laisser pour autant un arrière goût amer. Ce subterfuge là, c'est de se placer du côté de celui qui perdra un être cher, et non pas du côté de celui qui perdra la vie. Et quelque part, on pourrait penser que c'est égoïste de se placer de ce côté là, car finir le film sur un vide absolu, dans lequel il n'y a ni sentiments, ni souvenirs, ni vie, ça n'aurait pas le même effet. Le positivisme l'emporte sur le négativisme, mais à quel prix moral ? ...
... Mais je le répète, le subterfuge est idéal, car finalement, si il fonctionne et si le film reste cohérent du début à la fin, c'est car il ne parle pas de la mort. Non, il parle de l'adolescence. D'une adolescence qui dans le cas présent ne peut se permettre de communiquer qu'à travers la mort, soit de manière physique, soit de manière métaphorique. La mort n'est pas le thème du film, la mort n'est pas une fin, mais un moyen, au service des trois protagonistes ; et ce moyen, aussi nauséeux puisse-t-il paraître, il est jovial, il est touchant, il est rassurant, que ce soit à travers le cadrage ou les mouvements de caméra, ou à travers les personnages et leur message.
Enoch et Anabel, le jeune couple d'amis/amants se rencontrent de manière aussi fugace qu'ils se quittent. Et, aussi curieux cela soit-il, on a l'impression qu'une certaine barrière est nécessaire à ce couple pour communiquer. Comme je le disais, la mort est un moyen, et cette barrière c'est la mort.
Leur rencontre s'opère dans une cérémonie mémorial, leurs discussions relèvent toujours de la comédie, que ce soit par l'intermédiaire de scénettes qu'ils jouent volontairement, par l'intermédiaire d'un personnage-fantôme, de cimetière, de morgue, de fête d'Halloween... La mort devient comme un jeu pour eux, un espace intemporel dans lequel ils se retrouvent et partagent des choses, et dans cet espace là, plus rien n'importe, ni la maladie, ni la dépression, ni le monde extérieur. Dans toutes ces scènes, on retrouve toujours une construction narrative quelque peu maladroite, que ce soit dans l'enchainement des séquences ou dans leurs constructions internes. Et cette maladresse renvoie au monde adolescent, et lui en confère toute sa magie et son omnipotence, symbolisée par ce jeu d'acteurs timides, timorés, qui fait unisson avec la manière de filmer et de monter.
Monde d'adolescents, dont les autorités parentales semblent absentes ou intermittentes (d'ailleurs, cela est retranscrit par la simple présence d'une soeur d'un côté, et d'une tante de l'autre), qui laisse planer cette illusion naïve qui se couple pourtant à une maturité impénétrable. Monde de contradictions, moral ou physique, puisque la vie semble habiter la malade, et la mort semble habiter le bon portant. La barrière devient floue, et les deux côtés se mélangent et se partagent, comme la naissance du duo et le lien profond qui les habite. Monde d'enfance aussi, peu évoqué, assez subtil, mais qui renvoie à la nostalgie adolescente : Devant un terrain de jeux occupé par des enfants, ou dans une soirée d'Halloween où les petits règnent en maîtres ; on retrouvera le symbole de cette enfance passée, mais qui perdure par la présence et l'importance des bonbons...
Je ne détaillerai pas outre mesure l'importance accordée au monde naturel et à sa paisible liberté car sinon j'en aurai pour des pages... Je me contenterai juste de dire que l'image des oiseaux et de l'"envol" est fortement présente et qu'elle donne un visage à la vie, et à la mort, duquel on est attendri, et dans lequel on trouve une certaine quiétude (quiétude prônée par le film en lui-même, dont le message s'impose du côté du positivisme).
En fin de compte, avoir une partie entière consacrée à l'histoire d'Hiroshi (ma?), ce troisième personnage plus important qu'il n'y parait, donne une structure parfaite au film. Personnage dont le but est clair, et qui contraste avec ce que j'ai pu dire au tout début, puisqu'il se place lui du côté "néantisé" (quel mot barbare). Son histoire, aussi brève soit-elle, renforce la puissance du message. J'apprécie au passage la scène de respect accordée aux morts de Nagasaki, elle est certes courte, mais elle a un rôle prépondérant. On part d'une blague idiote à ce passage, que je suis content de retrouver dans un film, et qui remet un peu certaines choses à leur place, certaines choses que nous n'aurions jamais du connaître, et qui, à défaut de pouvoir être effacées, ne doivent pas être oubliées...
Quand vient l'heure, les mots ne suffisent pas et ne sont pas nécessaires, les images restent et perdures, inutile d'en rajouter : Speechless.