Très bon film de Gus Van Sant, qui pose ici sa caméra sur la relation intime, naissante et déjà évanescente, d'Annabel (Mia Wasikowska, splendide) et d'Enoch (Henry Hopper). L'une est malade, en phase terminale d'un cancer, l'autre dépressif-suicidaire, depuis que ses parents sont morts dans un accident de voiture, qui lui a lui-même coûté quelques minutes de "mort". C'est donc bien sur la mort et la manière dont ils l'appréhendent qu'Annabel et Enoch se trouvent, se rejoignent et se lient ; mais sur le vide de ce creux noir, Restless, aérien, ne s'appesantit pas en sonneries larmoyantes, misérabilistes ou simplement empathiques. Le point fort de Restless, c'est qu'il prend le parti de ne jamais pleurer : le choix de la vie, le choix de quelque chose plutôt que rien.
La perspective est même radicale (pour un film qui ne livre aucune radicalité dans l'image, aucune emphase, aucune démesure, ni aucune âpreté d'ailleurs) : la mort, que les deux amants ne connaissent que trop bien, n'est prétexte à aucune commisération, mais, tout au contraire, sujette au détournement et au rire (cf. la scène fantastique où les deux personnages principaux miment, théâtralisent et ironisent la mort d'Annabel). La mort, omniprésente - sous la forme d'une menace imminente ou d'un dédoublement psychique (le fantôme Hiroshi, Ryo Kase) - n'est plus un objet de crainte depuis longtemps, mais un compagnon de vie, et un tremplin vers l'amour. La mort n'est pas moquée (ce qui signifierait encore qu'elle est crainte) dans Restless, elle n'est pas rendue futile, incrédible ou inconsistante ; elle est trop présente pour cela. En revanche, elle est supplantée, transfigurée, métamorphosée dans quelque chose qui doit définitivement la dépasser. Restless n'oublie pas la mort par excès d'insouciance, mais intensifie la vie pour la vaincre.
Van Sant filme l'automne de Portland à la perfection, laisse onduler sa caméra avec le vent et entre les feuilles de paysages d'un autre temps, passé, et à venir. Aurifère et nuageuse, l'image de Restless est portée par une grâce simple et lumineuse, qu'on voit bien rarement au cinéma. Dans cet autre temps et sous ces teintes merveilleuses, la maladie et la disparition s'estompent pour laisser place aux regards d'une tristesse et d'une joie infinie (précisément, le film joue, par sa radicalité, sur un fil tendu, tel un funambule : est-on capable de supporter une telle relation amoureuse, vouée à une disparition presque immédiate ? La "crise" du film tient là-dedans : Enoch, qui paraissait distant, cynique par rapport à la mort, ne peut pas "sup-porter" un tel poids).
On peut légitimement tomber in love with Mia Wasikowska (malgré son nom, donc) tant son personnage, sublime au sens fort, mêle beauté éphémère, désir de vivre et fragilité suprême. L'actrice, moyenne dans Alice (qui relevait certes de la purge), livre ici une partition parfaite, dans un film qui l'est presque autant. Zou, 16/20.
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