Le loup. Animal sauvage qui, comme bon nombre de ses congénères dans le milieu, a perdu toute confiance envers l'homme. Et l'un pour l'autre, c'est soi un danger, soi une proie. Ce qui illumine en premier lieu dans ce dernier long de Jean-Jacques Annaud, c'est sa facilité avec laquelle il octroie de la fragilité à n'importe quel être, et donc un semblant d'humanité. Sa maîtrise, à lui mais aussi à son équipe technique, est hors pair, brillante et remarquable. Il dégaine à bout de bras traditions ancestrales et poético-réalisme pour narrer les conflits et abreuver les consciences de l'injustice à l'échelle humaine. Sa démarche pourrait paraître un brin hypocrite pour les plus faibles d'esprit (prendre comme support un best-seller pour ramener du vert à la maison de production), mais il n'en est rien : car on voit dès le premier plan la passion qui l'a dévoré, jusqu'à obtenir un résultat étonnamment puissant et sain. "Le Dernier loup" est un long-métrage difficile, tout autant à regarder que, on l'imagine, à la production ou au tournage. Dans l'oeuvre générale, le loup est un symbole qui a une conscience, et les scénaristes parviennent toujours à se retrancher derrière des lignes de secours pour ne pas bercer dans la facilité et donc aucunement dans la caricature. C'est une force du film qui est critiqué aujourd'hui. Aussi, les grandes plaines fertilisées de Mongolie sont frôlées par la caméra douce et par l'angle précis pris par l'auteur, ce qui fait de l'oeuvre en question un voyage lyrique rendu extraordinaire par la présence de la patte sauvage des animaux. Mais loin de tout ça, la production artistique creuse toujours autant dans le contraste entre la bête (soi-disante "ignoble", "perfide" et "terrible", d'après ceux venants de la ville) et l'homme (censé être plus "accueillant" et "réceptif" que celle-ci). Et c'est pour ça qu'on arrive à un point avec lequel il faut créer deux populations : l'une donc venant de la ville, qui croit tout savoir mais qui ignore la méthode première de l'enseignement délivrée à la seconde partie de la populace : les bergers illettrés, jugés aussi idiots que les loups eux-mêmes. Ce n'est pas très original, certes, mais pour un début de projet d'écriture de scénario, ça tient la route. Et c'est ce que demande le public en premier lieu : ne pas beaucoup réfléchir devant un projet envoûtant, à la plume puissante et sincère. Et quoi de mieux qu'adapter le summum de l'oeuvre littéraire sur grand écran? Surtout avec la touche professionnelle d'Annaud, qui se marie si bien avec les plaines et contrées de n'importe quelle face de la Terre. Il est regrettable, par contre, qu'il ne pense pas à se renouveler avec ses deux genres de scènes : celles qui jouent sur l'émotion et les autres qui travaillent avec le sentiment de fierté, de victoire, de bataille, et donc de guerre. Il se perd misérablement dans une sorte de marécage poisseux d'où on ne va ressortir que peu conquis, ou presque. Si sa mise en scène, qui sait rester digne mais qui souffre d'interminables longueurs, déçoit, les personnages de l'oeuvre de départ sont interprétés avec talent par un casting qui joue bien-sûr sur le classique, mais qui sait se réinventer malgré certains temps-morts. On pourrait appeler ça un exploit au long-cours, en fin de compte. Une oeuvre qu'on penserait avoir oubliée mais qui serait restée proche de nos mémoires collectives... Oui, ça serait une très belle définition.