Drôle d'idée de la part de Stephen Frears que d'adapter ce roman graphique (le roman graphique est à la bande dessinée ce que le technicien de surface est au balayeur) de l'Anglaise Posy Simmonds, couronné au Festival d'Angoulême en 2009. Drôle d'idée, car la marge de manoeuvre laissée au réalisateur se trouve réduite par rapport à l'adaptation d'un roman, surtout si comme Stephen Frears et sa scénariste Moira Buffini, on attribue à la B.D. le rôle de story-board, ainsi que le raconte cette dernière : "Il nous est souvent arrivé de tourner une scène, puis de regarder dans le livre en nous disant qu'on ne pouvait pas faire mieux".
De fait, la fidélité à la B.D. est absolue, que ce soit dans le casting, les décors, le découpage et les choix de cadrage. Est-ce cette fidélité, ou la trame même de cette histoire de pension pour écrivains propice à tous les marivaudages, qui explique la bizarre impression de se trouver face à un récit à la fois terriblement bavard et en même temps engoncé dans un cadre trop restrictif ? Toujours est-il que, malgré des rebondissements romanesques à la pelle, on en arrive à partager l'avis que Beth porte sur le livre d'un de ses pensionnaires : c'est trop écrit, et que plus grave, on finit par s'ennuyer.
Stephen Frears explique une des raisons de son choix : "Le scénario proposait un élément rare : les Anglais ne font pas de films sur la bourgeoisie. c'est davantage une tradition française, regardez les films de Chabrol sur la bourgeoisie...". Remarque intéressante, et vraie au moins en creux, quand on voit la capacité du cinéma britannique à raconter la vie de la classe ouvrière (Ken Loach, Mike Leigh, Mark Herman) comparativement au cinéma français. Mais concernant "Tamara Drewe", on est plus proche de Pascal Thomas que de Claude Chabrol, car le milieu décrit est bien trop propice à la caricature : toute la palette d'écrivains, du thésard coincé à la spécialiste du polar lesbien, star de rock ou journaliste bobo, et on ne peut pas compter sur Posy Simmonds et Stephen Frears pour avoir une quelconque analyse sociale au delà de cette collection de portraits et de situations plutôt stéréotypés.
Tardi a écrit : "Le western ne fonctionne pas dans la bande dessinée, et c'est un genre essentiellement cinématographique. Peu importe les qualités de Gillain ou de Giraud, aussi bons dessinateurs soient-ils, jamais leurs chevaux ne galoperont." Je retourne ce constat dans l'autre sens : la B.D. s'est nourrie du cinéma et lui a emprunté ses codes pour inventer son propre langage, et la démarche d'adaptation de petits mickeys au grand écran fait penser à une traduction de traduction. Faute de l'avoir compris, Stephen Frears gâche son talent - car il en a, et il nous le montre même ici plusieurs fois -, et nous fait regretter le film de l'acabit de "My Beautiful Laundrette", des "Liaisons dangereuses" ou de "The Queen" qu'il aurait pu tourner à la place.
Critiques Clunysiennes
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