Ce fichu confinement qui nous oblige à rester chez nous présente, il faut bien le reconnaître, quelques menus avantages. En l’occurrence, cela fait quelques jours que je pensais de façon récurrente à un film de ma vidéothèque, que je n’avais pas vu depuis… presque dix ans. J’étais pourtant allé le voir en salles, début 2010, parce que Ricardo DARIN y jouait. J’avais découvert cet acteur dans Les neuf reines, en 2002, si mes souvenirs sont bons et j’avais trouvé cet acteur assez fascinant. J’avais suffisamment aimé le film pour l’acheter lors de sa parution en DVD. Il faut préciser qu’au moment de sa sortie, Dans ses yeux était précédé d’une aura flatteuse puisqu’il avait remporté l’Oscar du meilleur film étranger, ainsi que 2 Goyas. Mais l’affiche laissait présager un film romantique : j’étais sur mes gardes !
Je n’avais pourtant aucune raison de l’être. Le film commence par une séquence d’écriture, qui laisse à penser que l’on va assister à la rédaction d’un roman et aux affres de la création. Pourtant, très vite, Benjamin ESPOSITO (Darin) se présente comme un fonctionnaire de la justice à la retraite (un ancien greffier) qui a décidé d’écrire un livre. Il est en effet hanté par une affaire de meurtre vieille de 25 ans, classée depuis belle lurette. Pourtant, ce cas l’obsède car il n’a jamais obtenu toutes les réponses à ses questions. Afin de trouver l’inspiration, il se remet en contact avec son ancienne supérieure Irène (Soledad VILLAMIL). Mais qu’espère-t-il vraiment de ces retrouvailles ?
Très vite, on va s’apercevoir que l’affaire, si elle est officiellement classée, est loin d’être résolue, alors que le coupable devrait croupir en prison depuis un quart de siècle ; que les relations entre Irène et Benjamin ne sont pas ce qu’elles paraissent être. L’intrigue policière se déroule en 1974-75, dans une Argentine troublée. Il est préférable de connaître un peu le contexte sociopolitique de l’époque pour saisir les subtilités du scénario. Le film se situe en effet dans la période des « escadrons de la mort », où le général Peron faisait régner la même dictature que celle qui l’avait évincé 5 ans auparavant. Le climat est étouffant, lourd et l’image de la justice peu reluisante. La police est décrite avec encore plus de dureté, totalement aliénée au pouvoir politique.
L’intrigue secondaire se déroule donc 25 ans plus tard et s’attarde sur les deux personnages principaux et leur relation. S’ils se sont quittés par la force des choses et se sont construit une vie chacun de leur côté, qu’en est-il aujourd’hui ? Sont-ils heureux ? Eprouvent-ils des sentiments l’un pour l’autre ? Pourquoi Benjamin a-t-il la sensation persistante d’avoir vécu une vie complètement vide ? Il y a donc un véritable aspect romantique dans cette histoire, mais traité avec suffisamment de subtilité pour ne pas être pesant et entrecoupé de flashbacks. De ce fait, les grandes orgues ne sont pas jouées au mérite de sentiments esquissés au fur et à mesure des dialogues et des regards.
Eh oui, car il ne faut pas se leurrer, il y a une explication au titre. La clef des relations entre les personnages est systématiquement donnée par les regards. L’ambiance feutrée du film permet de s’attarder sur ses regards expressifs qui en disent souvent plus longs que les paroles. D’autant plus que les personnages ne sont pas véritablement prolixes lorsqu’il s’agit d’exprimer leurs sentiments. Mais, ce qui est intelligent, c’est que même des éléments de l’enquête sont directement conditionnés par les yeux et le regard.
Je voudrais m’attarder sur la seule séquence spectaculaire du film : la recherche et la poursuite du suspect dans le stade de football. Rarement, une poursuite aura été aussi haletante dans ces conditions. Les protagonistes sont suivis au plus près par une steadicam virevoltante, puis par des plans à la grue, qui constituent un faux plan-séquence d’anthologie se concluant sur la pelouse même du stade, en plein match. Un morceau de bravoure que certains films d’action peuvent envier à celui-ci !
Une mention spéciale pour Guillermo FRANCELLA, qui joue le rôle de l’assistant de Benjamin. Il est absolument hilarant dans certaines scènes et apporte de la légèreté dans ce climat pesant. Mais il saura être aussi au moment crucial l’ami exemplaire que personne ne soupçonnait, et pas seulement le gentil alcoolique du bureau d’à côté.
Je dois préciser que le film a également été récompensé au festival du film policier de Beaune. Et ça n’est que justice, car le réalisateur a à cœur de mener un vrai polar, dont la conclusion est aussi terrible qu’inattendue, mais juste et logique, en regard de l’histoire. C’est d’ailleurs elle qui conditionnera le terme de la partie romantique de l’intrigue.
L’émotion m’a saisi comme lors de la première vision : j’étais tour à tour circonspect, amusé, inquiet, ému, énervé, touché. Bref, une belle palette de sentiments comme on aimerait en éprouver à chaque séance.
Il ne vous reste plus qu’à (re)découvrir cet excellent film argentin, et ils ne sont pas si nombreux à parvenir jusqu’à nous.