Sortie très confidentiellement au début de l’été, "L’Ombre du mal" était, sur le papier, un thriller particulièrement alléchant. Il faut dire que les derniers jours de l’écrivain Edgar Allan Poe (considéré comme l’un des pères du roman policier et du fantastique), mort dans des conditions assez mystérieuses, représentent une mine d’or propice à tous les fantasmes pour un scénariste un peu imaginatif…. Il est d’ailleurs incompréhensible qu’aucun film n’ait jamais traité du sujet. Le réalisateur James McTeigue (à qui on doit l’excellent "V pour Vendetta") a fait un choix audacieux : celui d’imaginer que l’écrivain menait une enquête sur un mystérieux tueur s’inspirant de ses propres romans… soit une idée potentiellement énorme puisqu’elle permet de mieux connaître l’univers de Poe (on retrouve les crimes de ses plus grands écrits tels que "Le Corbeau", "Double assassinat dans la rue Morgue" ou encore "Le Scarabée d’Or") sans pour autant faire dans le biopic poussiéreux. Malheureusement, cette trop belle occasion de rendre accessible un monde qui reste peu connu du grand public actuel n’a pas su trouver sa place. La faute à un manque d’ambition flagrant des producteurs qui ont préféré se contenter du minimum syndical. Certes, "L’ombre du mal" (titre français ridicule et inutilement racoleur, auquel il aurait peut-être dû être préféré le titre original "The Raven", malgré les nombreuses productions horrifiques portant déjà ce nom et s'inspirant déjà de l'univers de Poe) est un honnête thriller en costume d’époque avec un tueur au mode opératoire inspiré (à défaut d’être crédible) malgré ses motivations très classiques. Mais le film manque cruellement de souffle et d’originalité, ce qui parait invraisemblable au vu de son pitch ! On suit donc, sans grand panache, l'improbable duo formé par l'écrivain et le policier dans cette succession de crimes (qui font immanquablement penser à "Saw") qui se voit, de temps en temps, émaillée par des séquences plus intimes terriblement plan-plan et attendus (la relation entre Poe et sa belle, ses discussions avec le flic suspicieux...). L'intrigue aurait aussi dû être bien plus travaillée puisqu’on a droit, en tout et pour tout, à une enquête peu intéressante, gonflée à coups d'énormes ficelles scénaristiques, et à un tueur à l’identité beaucoup trop évidente. A ce titre, le final est franchement décevant, tout comme l’opportune (et poussive) dernière scène parisienne.
J’aurais préféré que le réalisateur soit bien plus audacieux et ose faire de Poe un véritable sociopathe (les différentes addictions de l’auteur et ses écrits se seraient parfaitement prêtés à un durcissement de son personnage), voire même le grand méchant de l’histoire, ce qui aurait eu le mérite de surprendre un peu le spectateur.
L’interprétation, enfin, aurait mérité d’être un peu plus soignée puisque, sans être déshonorant, le casting ne fait pas vraiment rêver. Le fadasse John Cusack fait ce qu’il peut dans le rôle de Poe, Luke Evans campe un policier sans grande envergure en fronçant les sourcils, la belle Alice Eve est potiche au possible et Brendan Gleeson fait le ronchon de service comme d’habitude. Dommage, vraiment dommage… mais il reste un grand film à faire sur Edgar Allan Poe et son sombre univers.