Après ce premier film plutôt réussi qu’était La Légende du Grand Judo, Akira Kurosawa revient dans l’époque contemporaine avec Le Plus Dignement, qui suit l’histoire de plusieurs femmes ouvrières volontaires dans une usine de production d’armement durant la seconde guerre mondiale.
Il est inutile de dire que ce film sera loin des futurs classiques du cinéaste, qui n’est ici pas maître de son œuvre à 100 %, destinée à être un pur produit de propagande anti-américaniste comme beaucoup d’autres long-métrages commandés par le Japon en ce temps de guerre (cette nation n'étant d'ailleurs pas la seule à utiliser le cinéma pour diffuser et idolâtrer ses propres idées).
La maître non encore auréolé de ses grands succès futurs et encore débutant, signe ici un des films (sinon le film) les moins forts de sa carrière, une "erreur de jeunesse" pour ainsi dire, tant le résultat transpire de gentillesse hypocrite et de propagande militariste pure et dure.
Si les acteurs restent plutôt corrects, et si d’un point de vue visuel, on sent que Kurosawa a fait un léger bond en avant depuis le long métrage précédent, à savoir ce travail plus maîtrisé au niveau du cadrage, qui rapproche des personnages, au niveau du montage, moins brouillon, et une beauté des paysages (effets brumeux) plus mise en avant qui manquait à La Légende du Grand Judo, le grand reproche quant à ce film sera centré non sur sa forme qui reste correcte mais sur son fond.
Avec la délicatesse d'un pain dans la tronche, le cinéaste dépeint un portrait de femme prête à tout pour assurer une productivité satisfaisante, allant même jusqu’à prendre l’initiative elle même d'augmenter les quotas de production (ce qui pourrait paraître un avant-goût de féminisme mais si seulement le film s’arrêtait là...) et à renoncer à sa vie privée pour le travail, pour la nation.
Le résultat prend la forme de 85 minutes de discussions (trop) passionnées de femmes luttant contre leurs propres faiblesses, leurs aléas physiques et moraux, les imprévus familiaux et le stress afin de produire des armes, toujours en plus grande quantité, à faire des heures supplémentaires, à travailler la nuit, tout en oubliant que derrière le travail, il y a une vie.
La naïveté de ces femmes qui se fait sentir sur la totalité du long métrage est un peu agaçante à la longue et il devient de plus en plus difficile au fil des minutes de toucher le bout de ce film.
On sent que le propos du cinéaste est flou même inexistant (Kurosawa étant maître dans l’art de raconter les histoires mais pas dans celui de la propagande bien déguisée) derrière ce flot de «travail», de «patriotisme», de «sauvetage de vies japonaises grâce à nos lentilles de précision !».
Un film qui sans son message purement patriotique et nationaliste à l’extrême aurait pu mériter la moyenne (ça me fait mal de mettre un 4/10 à un Kurosawa !) mais qui est, à contrario de la quasi-totalité de la filmographie du cinéaste, est un film impersonnel, un pur produit de propagande aseptisé, qui plus est t’attaque comme un tank au lieu d’utiliser une manière subtile pour diffuser son propos, contrairement au prochain film, La Nouvelle Légende du Grand Judo, qui lui, également outil de propagande, se verra plus subtil et moins "grande-gueule" dans son approche.
On pourrait quand même trouver une consolation dans ce film, car Kurosawa, plus psychanalyste que réalisateur sur Le Plus Dignement, vient nous montrer avant l’heure le premier cas de «burn-out», plusieurs décennies avant que les médecins se penchent sur cette maladie.