Quand on adapte John Le Carré, il faut s'attendre à tout : des très réussis adaptations de la Trilogie de Karla produites par la BBC avec Alec Guinness, ainsi que l'adaptation de 1965 de L'Espion qui venait du froid, jusqu'au navet atomique avec Sean Connery qu'est La Maison Russie ou Le Tailleur de Panama avec Pierce Brosnam, on peut dire que les résultats ont été mitigés.
Mais pour La Taupe, on se doute avec la présence de Tomas Alfredson que le film peut changer la donne. Car La Taupe, en plus du réalisateur de Morse dispose d'un casting orgasmique (Oldman, Firth, Strong, Hardy, Cumberbatch, Hurt, Jones...). Résultat, on apprenait il y a quelques semaines que Gary Oldman était nominé pour le Meilleur Acteur dans un rôle principal, et Alberto Iglesias pour la Musique Originale.
Qu'en est-il finalement ?
Quand on parle à « Papa » du film d'espionnage, il pense à James Bond, au mieux à la série TV Mission: Impossible : du cinéma de divertissement, destiné à un public très large, et souvent d'un réalisme plus ou moins réussi. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je pense que c'est la France qui avait réellement relancé le film d'espionnage qui enfreint cette règle : il y a trois ans, avec l'excellent Affaire Farewell.
Alfredson par le biais d'une atmosphère Guerre Froide parfaite (il y a eut le vice de tout détailler jusqu'à la lampe de chevet pour que le spectateur ait l'impression de regarder un film d'époque). Car si il faut retenir trois choses de La Taupe, ce sera bien ça : mise en scène parfaite, scénario de génie et acteurs géniaux. Alfredson réussit le coup de véritablement comprendre le film d'espionnage; ce ne sont pas seulement des explosions, des courses poursuites en Chevrolet et des fusillades en haut de l'Empire State Building. Une atmosphère très clinique, presque cynique, apportant un regard objectif à l'intrigue, mais d'un point de vue totalement mystérieux : les portes s'ouvrent, se referment, on se perd facilement dans une intrigue complexe mais parfaite.
La Taupe joue avec le spectateur en lui faisant tout croire, lui faisant remettre en cause son jugement sur la scène précédente à celle d'après. Le tout se déroule, si bien qu'on rentre dans le film (ce qui n'est pas mince affaire, car ça reste peu abordable, d'où les critiques très mitigées le critiquant en partie d'ennuyeux), très vite. Plus encore que la mise en abyme parfaite d'Alfredson est à noter l'intrigue superbement intelligente, défiant à la fois tout ce qu'on a put voir jusqu'à ce jour en terme de cinéma d'espionnage. La scène d'ouverture, sublimé d'ailleurs par le metteur en scène scandinave, est un tour de force, de même que le final, qui n'est ni trop long ni trop court et se termine avec un message très clair : "Oui, on adaptera encore du John Le Carré" (depuis on sait que ça sera le troisième volet de la trilogie, "Smiley's People").
Le dernier énorme point fort du film restera son casting : alléchant avant la projection, il est juste jouissif par la suite : Gary Oldman, vieillissant et méconnaissable (c'est là qu'on se rend compte qu'il a quand même 53 ans, bien qu'il paraisse encore plus âgé tout le long du film), Tom Hardy, dont c'est véritablement le meilleur rôle, et enfin un Colin Firth, qui confirme son talent une nouvelle fois. N'oublions pas Mark Strong qui hérite enfin d'autre chose qu'un rôle de méchant manichéen, et il s'en sort plus que bien.
La Taupe est sur le papier un chef d'oeuvre, de mon point de vue. Un film qui marquera le cinéma, c'est clair. Son plus gros problème reste son inaccessibilité pour la plupart des personnes. Déroulant à la fois un film plein de faux semblants et de fausses pistes, on assiste à un véritable tour de force, tout simplement parfait, car c'est surement le seul terme qui suffit.