La Taupe est un film d’espionnage réalisé par Thomas Alfredson, qui avait déjà bouleversé les codes du film de vampire dans Morse. Alfredson conserve cette volonté de changer radicalement notre vision sur le genre du film, en nous proposant une histoire complexe avec une foule de personnages, se montrant à ce titre très fidèle au livre de John le Carré.
Le casting est tout bonnement impressionnant, réunissant certains des meilleurs acteurs british (Gary Oldman, Colin Firth, Mark Strong, John Hurt), et des acteurs en pleine ascension (Benedict Cumberbatch, Tom Hardy). Chaque acteur rend parfaitement le personnage qu’il incarne tel qu’il est décrit dans le livre : le côté cérébral et impavide de George Smiley pour Oldman, le manque d’assurance de Peter Guillam incarné par Benedict Cumberbatch, l’impulsivité de Ricki Tarr pour Tom Hardy, et la classe british de Bill Haydon joué par Colin Firth.
La mise en scène d’Alfredson rend parfaitement l’atmosphère lourde et oppressante du livre. L’austérité est clairement de mise dans presque tous les plans, et l’on est bien loin des QG ultramodernes rencontrés dans d’autres films d’espionnages. Le « Cirque » est un vieux bâtiment désuet et dont l’équipement évoque la RDA (tourniquets et vieux monte-charges). On notera par ailleurs que nombre de scènes nous montre des portes s’ouvrant et se refermant, insistant ainsi sur les nombreuses interactions entre des intrigues qui se poursuivent de façon parallèle et finissent par se croiser (la mission ratée à Budapest, la découverte de Tarr à Istanbul, les changements de hiérarchie dans le « Cirque », l’opération « Witchcraft », l’enquête de Smiley,…). Cette déstructuration du scenario est parfaitement rendue par le montage qui alterne entre les diverses intrigues habilement. Les effets de lumière sont également particulièrement soignés. La musique d’Alberto Iglesias accompagne à merveille ces scènes, et renforce l’ambiance tamisée et faussement calme.
Il est cependant évident qu’au même titre que le livre, l’œuvre est d’une grande complexité, et nécessité soit la lecture du livre, soit un deuxième visionnage afin de comprendre tous les tenants et aboutissants de l’histoire. Les principales thématiques ont été gardées intactes : on retrouve l’obsession de Smiley pour sa femme Ann qui le trompe avec Haydon, ainsi que les nombreux éléments de l’opération « Witchcraft », la violence peu fréquente mais qui en éclabousse d’autant plus certaines scènes (au sens propre comme au sens figuré), et enfin le réalisme global du cadre et du jargon d’espionnage tirés du livre de l’ancien agent secret qu’était John le Carré. Mention spéciale pour la scène ou Smiley narre sa rencontre avec Karla, principal antagoniste du film et pourtant physiquement absent, ce qui rend la figure d’autant plus fascinante. Il faut cependant être bien concentré pour pouvoir aborder dans de bonnes conditions le film.
Mon seul regret concerne l’histoire d’amour entre Tarr et Irina se déroulant à Istanbul, les deux personnages perdant leurs singularités : l’alcoolisme d’Irina et son désespoir ne sont guère montrés, tout comme l’opportunisme premier de Ricki Tarr et son côté looser et plaintif. Les deux personnages sont beaucoup plus conventionnels dans le film, et l’histoire d’amour par la même.
La Taupe est cependant d’un excellent film d’espionnage, ou mise en scène, musique, scénario et acteurs rendent parfaitement l’ambiance et la trame du livre de John le Carré