Adaptée du roman d'espionnage de John Le Carré, ''La Taupe'' est réalisé par Tomas Alfredson. L'histoire se passe pendant la Guerre Froide, en 1973, au sein des services secrets britanniques (appelé ''cirque''). L'agent George Smiley (Gary Oldman, spectre melvillien) enquête après la mort de son supérieur, Control (John Hurt) pour débusquer un espion infiltré. Aidé par Peter Guillam (Benedict Cumberbach), Smiley mènera son enquête et devra découvrir qui est ''La Taupe'' parmis quatre suspects. Résumé comme cela, le film a l'air assez simple à comprendre (un héros, une taupe, quatre suspects). Sauf que non, le film se révèle au contraire diablement retors : intrigue parallèle, flash-back.... Dans cette œuvre, il est impossible de tout comprendre. Mais cela a peu d'importance : il suffit de se raccrocher à l'idée qu'il y a une taupe, et qu'il faut la découvrir. Cette idée, gravée dans sa mémoire, permet au spectateur de ne pas s'embourber dans ce (trop) touffu récit.
Donc, on n'y comprend pas grand chose. Est-ce grave ? Cela pourrait si le seul intérêt du film était dans le scénario, ou plutôt devrais-je dire si ''La Taupe'' était uniquement une œuvre de scénario. Seulement voilà, ''La Taupe'' a aussi une mise-en-scène. Et même qu'elle est signée Tomas Alfredson. Pour rappel, Tomas Alfredson est un réalisateur suèdois, qui avait réalisé en 2008 ''Morse''. Ce joyau (un de mes films préférés, avec ''Le bon la brute et le truand'' et ''Barry Lyndon'') contait la belle relation entre un pré-ado de douze ans et une vampire du même âge. Loin de la mièvrerie de ''Twilight'', loin des outrances nullissimes des ''Prédateurs'' (Tony Scott, 1983), ''Morse'' marquait par ce fascinant mélange entre la violence sanglante (meurtres et humiliations) et une grande douceur (la relation, tendre et simple entre les deux protagonistes principaux. Cette douceur était soulignée par la beauté de la mise-en-scène alternant (entre autres) plans fixes et lents mouvements de caméra.
Tout cela se retrouve dans ''La Taupe''. Seule le postulat a changé : des vampires, Alfredson est passé aux espions. Si l'émotion suscité par ''Morse'' disparaît quelque peu de ce film, si la simplicité de ''Morse''est absente de ce film, ''La Taupe'' n'est est pas moins un grand film, car la mise-en-scène est la même que celle du film précédent d'Alfredson. Le film de vampire peut se diviser entre romantisme (''Twilight'') et épouvante (''Nosferatu'') : Tomas Alfredson choisit un entre-deux : ce fut ''Morse''. Le genre de l'espionnage lui aussi peut se diviser entre réalisme (John Le Carré et ses romans) et romanesque (James Bond) : de nouveau Alfredson ne fait ni tout-à-fait l'un, ni tout-à-fait l'autre. Il n'y a pas d'action à la James Bond, mais le film ne peut pas se ranger dans le genre de l'espionnage réaliste. Réaliste, le film l'est dans son son scénario ultra-complexe (rappelons que John Le Carré est un ancien espion), mais là encore, la mise-en-scène apporte à ce monde de tromperies et de faux-semblants une lenteur, une mélancolie, presque une douceur complètement antinomique avec ce monde de l'espionnage. A l'image de son héros, étonnement pâle et transparent (comme dans ''Morse''), la réalisation se part d'une très grande lenteur, la caméra se déplace lentement, certains plans s'éternisent... Par moment, le film ressemble aux œuvres de Melville (comme ''Le Samouraï'' et ''Le Cercle Rouge'') où les individus (et c'est le cas de Smiley) s'apparentent d' avantage aux spectres. Comme Melville, Alfredson passe outre le scénario. L'histoire qui, là où cette dernière n'était pas vraiment intéressante parce que trop banale chez le français, est au contraire trop complexe pour qu'on se passionne chez le suédois. Une angoisse existe, mais c'est presque une angoisse tranquille qui anime le spectateur. Dans cette atmosphère à la fois concrète (dû au travail authentique de John Le Carré) et à la fois cotonneuse (dû cette fois-ci à Alfredson et son chef-op' Hoyte von Hoytema), le spectateur, s'il consent à se laisser porter, entrera dans une torpeur (au bon sens du mot). Deux scènes illustrent cette étrangeté : la séquence de fin sur la chanson de Trenet : ''La mer'' et surtout ce magnifique (et lent) travelling arrière partant du visage de John Hurt, pour aboutir à la vision de son bureau (la pièce, pas le meuble) mais vu à travers le couloir. La découverte de cette salle, sorte de bunker est extrêmement saisissante. Deux scènes mais aussi un fascinant ''méchant'' (un autre que la taupe) : le soviétique Karla. Invisible et dangereux (on ne le verra jamais), il est, cependant, plus que jamais présent (et touchant, quand son histoire est racontée par Smiley, son double anglais), lui qui est le produit de cette atmosphère. On pourrait citer d'autres séquences, toutes aussi stupéfiantes que celles citées précédemment (une dernière pour la route: la scène des archives, qui découvre les étages de l'immeuble).
Enfin, il faut ajouter que nous avons en face de nous une prestigieuse distribution composée d'acteurs anglais comme Gary Oldman, John Hurt, Colin Firth, Tom Hardy, Benedict Cumberbach (c'est vraiment une joie de le voir au cinéma) et j'en oublie...
Grand film d'espionnage, "La Taupe" vaut surtout pour son atmosphère hivernale et sa distribution so british. On espère qu'Alfredson ne s'arrêtera pas là, et qu'il continuera à nous stupéfier.