Après deux films aussi explosifs et marquants que Reservoir Dogs et Pulp Fiction, nulle doute que le troisième film de Tarantino était attendu au tournant. Un troisième film qui est venu conclure la série pré-Kill Bill. Une sorte d'apothéose à un cinéma nineties bourré de testostérone. Cela dit Jackie Brown se dévoile vraiment comme l'aîné des deux autres, plus mature et plus posé, certes moins rock'n'roll mais empreint d'une finesse psychologique encore plus poussée.
La raison principale de cette maturité est sans aucun doute les personnages, qui, de De Niro à Pam Grier en passant par Robert Forster, sont tous des quarantenaires sur le déclin. Pas vraiment glamour, on est loin du charme d'Uma Thurman et de la classe de Travolta. Au-delà de ça, ce sont aussi des personnages perdus, qui s'enlisent dans une vie dépourvue de tout dynamisme. Ils sont dépités, blasés, et leur vie monotone se retransmet à l'écran par cette existence sans saveurs qui est la leur. Dans cet univers fade et poussiéreux un bras de fer va se mettre en place. Entre Jackie Brown, une hôtesse de l'air aux soucis perpétuels avec la justice, et Ordell Robbie (Samuel L. Jackson), un trafiquant d'armes de bas étage. C'est la révolte de la brebis contre le berger, et c'est donc un jeu de mensonges et de manipulations qui se met en place, fonctionnant sur plusieurs niveaux. Que ce soit la police, les brigands et les autres, ils ont tous un rôle indirect à jouer dans la machination qu'est en train de monter Jackie contre Ordell. Le scénario se révèle donc intelligent et efficace, donnant lieu à une deuxième partie de film emplie de suspens.
Il y a cette impression de lose ambiante qui se dégage des personnages : Les gangsters sont perçus comme des idiots impulsifs, les flics comme des naïfs endurcis et seul le duo Jackie Brown/Max Cherry semble disposer de quelques neurones. Jackie apporte ce charisme féminin, cette touche nécessaire au film. Elle charme les uns et manipule les autres, il est difficile de comprendre qui elle est véritablement. Elle se bat pour sortir de sa misère et faire table rase de son passé et c'est tout ce qui compte. Sa relation ambigüe qui prend forme avec Max Cherry se révèle sous des auspices très humanistes, l'un et l'autre ayant besoin de ce nouveau visage dans leur vie, pour en rayer la monotonie. Le personnage de De Niro est lui aussi très sympathique, un espèce de gangster qui a perdu toute sa splendeur, et qui forme un duo hilarant avec la sublime Bridget Fonda. Comme dans tous les films de Tarantino, il y a un humour de circonstances qui accompagne l'évolution des personnages, même s'il est moins omniprésent compte tenu du côté plus retenu de l'ensemble. On est chez les quadragénaires, qui recherche une sensualité oubliée, une richesse passée et des désirs d'adolescents, au point de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aller les retrouver.
Tarantino arrive encore une fois a créé un univers unique, qui semble coupé d'une réalité extérieure. L'immersion est totale dans ce combat entre deux forces distinctes et la maturité qui se dégage de l'œuvre, entre remise en question individuelle et remise en question d'un système, confère aux personnages cette aura particulière. On n'oublie pas de nous faire profiter d'un humour caractéristique, de quelques séquences haletantes et de longues scènes dialoguées réussies. Les rapports de force sont exquis, la réalisation d'abord très posée pour coller aux personnages s'emballe dans le dernier tiers, et la bande-son ajoute cette touche complémentaire au film.
Ce n'est certes pas l'incontournable de la filmographie de Tarantino, mais il apporte cette variété et cette maturité qui en font une œuvre appréciable à bien des égards. Jackie Brown, grâce à ses personnages touchants et son intrigue intelligemment ficelée, requiert un détour bien mérité.