Comme c'est le cas chez de nombreux grands cinéastes, tous les long-métrages de Jacques Rozier racontent la même histoire. Celle d'un homme qui, l'espace d'un instant, s'accorde un moment de liberté absolue, quelques heures, quelques jours tout au plus, avant de reprendre le chemin de sa vie de tous les jours. Comme si rien n'avait changé. Sauf que tout a changé, même si rien ne transparaît. Une fois dans leur vie, sans doute la seule, ces personnages ont vécu. Pour de vrai. Cette histoire est le centre d' " Adieu Philippine " (1961), l'un des manifestes de la Nouvelle Vague et l'un des rares films français à oser évoquer la guerre d'Algérie, mais aussi de " Du côté d'Orouet " (1969), des " Naufragés de l'île de la Tortue " (1976), et bien sûr de " Maine Océan ", film considéré par beaucoup comme son chef-d'oeuvre. Car Rozier, sur une carrière de plus de 40 ans, n'est parvenu à sortir en salles que quatre long-métrages, puisque le dernier, " Fifi Martingale ", réalisé en 2001, a vu sa sélection officielle au festival de Cannes être annulée seulement quelques jours avant l'ouverture, et qu'il n'a, à ce jour, toujours pas trouvé de distributeur.
" Maine Océan " est donc une ouverture sur un monde de possibles, sur un ailleurs, un infini pourtant simple à atteindre même si peu s'en donnent la peine. L'histoire qu'il nous conte est un enchaînement de situations et de personnages parfaitement huilé tout en ayant l'intelligence de paraître aléatoire. Une jeune et belle brésilienne prend le train Maine Océan qui relie Paris à Nantes. Elle oublie de composter son billet et se fait emmerder par deux contrôleurs (magnifiquement interprétés par les géniaux et sous-estimés Luis Rego et Bernard Menez). Elle ne parle pas français, et les contrôleurs un très mauvais anglais. C'est l'une des séquences les plus drôles du film, notamment lorsque Rego explique qu'elle aurait dû faire " Chtong à la gare ! ".