C’est amusant de constater comme le temps agit sur les œuvres d’art. En l’occurrence, lorsque ce film est sorti au cinéma, je ne suis pas allé le voir. Pourtant, mon acteur français préféré y joue l’un des trois rôles principaux : Alain DELON. Depuis que je suis enfant, cet acteur exerce sur moi une certaine fascination. Il semble si fort, si distant, si froid et pourtant capable dans certains rôles de se laisser aller à la faiblesse, la douceur et l’émotion. Malgré cela, je restais chez moi, car je pensais que le duo avec Jean-Paul BELMONDO dans Borsalino était indépassable. D’autre part, il y a dans ce film une jeune femme que je n’appréciais guère à l’époque : Vanessa PARADIS. Elle m’exaspérait en tant que chanteuse et je ne souhaitais pas qu’elle encombre le cinéma.
Je n’ai donc vu ce film que très tardivement, à l’occasion d’une diffusion télévisuelle et, pour être tout à fait honnête, il m’a déçu. Le duo de Borsalino fonctionnait moins bien, était moins fort. Les acteurs se moquaient d’eux-mêmes. Il y avait trop de scènes de comédie à mon goût. Mais, la Paradis sortait son épingle du jeu face à ces deux carrures !
Depuis, j’ai constitué une vidéothèque que certains qualifieront de pléthorique avec, à part, une section Delon, dans laquelle j’ai une bonne partie de ses films. Une chance sur deux manquait à l’appel. Mais la possibilité de l’acquérir dans une très belle copie Blu Ray m’a fait franchir le pas. L’ironie de la chose est que j’ai dû l’acheter en Allemagne, seul pays où le film est disponible sur ce support, au contraire de sa mère patrie, et avec une version française.
J’ai pu revoir ce film assez mal noté par la critique en général et par moi en particulier. Pourtant, il n’est pas si mauvais et je crois même que l’on peut aller jusqu’à le qualifier de film réussi. Car je le vois aujourd’hui bien différemment d’hier et d’avant-hier. Patrice LECONTE a pris le parti d’axer son histoire sur une pure comédie d’action, ce qui met Bebel en position de force, bien plus familier de ce registre. Les rares comédies de Delon se sont avéré être des échecs cuisants. Mais les rôles tiennent compte de la personnalité de leurs interprètes : Léo BRASSAC, le personnage de JPB, est drôle, enjoué, dynamique, aime les voitures de course et la course, c’est un casse-cou ; celui d’AD, Julien VIGNAL, est un patron taciturne, froid, distant, qui aime le danger… calculé. Leur affrontement se réfère, dès la première scène, à celle qui a eu lieu vingt-huit ans plus tôt et ils… se battent. Mais cette fois-ci, la bagarre ne dure pas très longtemps, car le temps est passé et joue en leur défaveur. C’est bien là toute l’intelligence du script de Leconte : il prend en compte ses acteurs et leur âge. Leurs exploits ne seront que ceux qu’ils peuvent réaliser. Il en est de même pour les dialogues, qui font référence à leurs carrières et rôles passés. Les deux hommes prennent un grand plaisir à se retrouver et jouer la comédie ensemble. Et nous aussi, de voir réunis les deux dernières stars du cinéma français, qui ont, à elles deux, remodelé les productions hexagonales des années 70 et 80 ! Personne ne se prend au sérieux, les péripéties sont abracadabrantes et c’est ce qui rend le film si amusant. Et au milieu de ces deux monstres, Alice TOMASO, incarnée par Vanessa, toute petite, mignonne et très drôle, mais surtout nullement impressionnée. Elle évolue, ingénue, entre les géants qui la coiffent de leur regard paternel et bienveillant, de leur tendresse et de leur affection. Ce qui rend ce long-métrage attendrissant et drôle, en un mot attachant. J’ai également eu l’occasion de réévaluer les performances d’actrice de Melle Paradis. Et aujourd’hui, je peux affirmer que je la considère bien meilleure comme actrice que comme chanteuse. Elle a d’ailleurs livré de très bonnes performances dans Elisa, Noce blanche (vu très longtemps après), ou Atomik circus et L’arnacoeur. Elle sauve presque à elle seule Sous les jupes des filles. Mais sa prestation la plus mémorable reste La fille sur le pont. Je suis allé voir ce dernier dès sa sortie pour Daniel AUTEUIL et suis ressorti subjugué par la jeune femme. D’autant plus qu’elle est particulièrement bien filmée en noir et blanc, une fois de plus par Leconte.
D’ailleurs, la réalisation de Leconte pour Une chance sur deux est aussi intéressante car elle est entièrement au service des acteurs. Il filme beaucoup de gros plans lors des scènes dialoguées, en plan plus larges pour certains échanges « conflictuels » entre les personnages. Les nombreuses scènes d’action sont fluides et dynamiques apportant du rythme au film et au déroulement de l’histoire.
J’ai donc considérablement réévalué ce film depuis sa sortie. Comme quoi il est amusant de constater comme le temps agit sur les œuvres d’art !