Réalisé en 1960, à une époque où le cinéaste réalise ses plus grands chefs d’œuvre (de «La complainte du sentier» à «Charulata»), «La déesse» n’est pas le film de Ray qui me sensibilise le plus. En raison d’une mise en scène très académique, moins poétique, exempte des grands mouvements d’appareil et des angles très recherchés habituels. Ce choix s’explique et se justifie néanmoins parfaitement par rapport au thème abordé et au point de vue choisi par Ray, et «La déesse» reste un très grand film, d’une grande richesse réflexive. Au cours d’un rêve, Kalikinkar, père de famille très fidèle aux valeurs religieuses, voit la déesse Kali réincarnée en sa belle fille Doya. Dès lors, il croit fermement en cette incarnation et vénère sa belle fille aveuglément, définitivement convaincu après la guérison «miraculeuse» d’un enfant. Mais cet aveuglément aura de tristes conséquences : mort d’un enfant, séparation d’un couple, folie de Doya. Ray ne stigmatise pas ici la religion à proprement parler (l’hindouisme), mais s’en prend davantage à son mauvais usage, à la foi irrationnelle, au dogmatisme. Le travail de mise en scène qu’il réalise lui permet de prendre le recul nécessaire pour éviter toute ingérence émotionnelle et passionnelle qu’une telle thématique pouvait faciliter. Il ne juge pas, ne nous montrant que les faits, les conséquences de ces comportements. Le propos est très riche et reste aujourd’hui d’une grande actualité. Au-delà de la thématique religieuse, en généralisant la réflexion à tout type de comportements et de décisions guidés uniquement par une forme quelconque de croyance aveugle, on s’aperçoit de la pertinence de la critique. La figure du père, au pouvoir immense, nous aide à élargir l’analyse à tout type d’organismes exerçant le pouvoir. En restant aveuglément fidèles à des croyances, sans les questionner ou les renouveler, ils nous conduisent inévitablement vers des catastrophes, et les sacrifices, comme celui de Kokha dans le film, seront nombreux.