Cul-de-sac, de Roman Polanski, est un bien étrange film. Etrange car naviguant constamment entre deux eaux aux frontières floues, basculant de la comédie au drame en un coup de feu ou de téléphone, ou l'inverse, en un instant, et entremêlant les genres, de la comédie au film de gangsters en passant par la scène de ménages et le portrait d'êtres perdus. C'est une oeuvre folle et sans retenue, rythmée au son de pistes de jazz débridées et de dialogues ciselés. D'une grande liberté de ton, il a secoué les conventions de l'époque, notamment de par l'étrange couple de châtelains formés par l'homme mur, efféminé et travestis, et sa femme beaucoup plus jeune, lunatique, libérée, probablement volage, souvent nue, et au langage direct.
Aujourd'hui encore c'est un concentré d'humour absurde, noir et parfois subversif. Les situations grotesques chargées au comique de situation s'enchaînent (
un gangster grièvement blésé et incapable de sortir de sa voiture se relève d'un coup quand il entend parler d'alcool, on enterre un cadavre comme on le ferait d'une chaise - au sens propre -, on maltraite outrageusement ses invités et on moleste leur insupportable gamin...
). Si le rire est présent, le dérapage n'est jamais loin, comme l'illustre parfaitement la scène du rasage, modèle de tension et de drôlerie entremêlées. S'ajoute un comique de dialogues kafkaïen (
les appels téléphoniques du gangster à ses complices
), tirant parfois même vers l'existentialisme (
la discussion des hommes sur la plage
).
L'oeuvre est aussi remplie de performances d'acteurs mémorables. Le gangster et son accent à couper au couteau, entre rudesse, brutalité et naïveté ; le mari efféminé et lâche maltraité tant par l'intrus que par sa femme ; la jeune française étrangement indifférente à la gravité de la situation, voire amusée... Dans ce triangle pour le moins incongru, les rapports se font parfois ambigus. Tantôt une complicité tend à se nouer, particulirèrement entre le gangster et la jeune femme, fondé sur une curiosité réciproque, agrémentée de touches d'érotisme ; tantôt la violence reprend le dessus,
comme quand la jeune femme se fait "corriger" par le bandit après une farce, ou que ce dernier essaie de séquestrer le couple dans différentes pièces de leur demeure.
Au final,
alors que les péripéties semblent se dénouent dans une sorte de sérénité et de status quo installé, surgit une explosion de violence qui dynamite le film et l'achève de manière plutôt surprenante ans le feu et la folie
. Folie qui semble alors avoir été, depuis le début, la seule maîtresse cette île où se déroule l'action.
Le film ne démontre ni ne prouve rien, et c'est dans la plus pure gratuité qu'il décline ses actes et sa folie. Ce qui ne le rend que plus savoureux.