Si l'on sentait poindre l'amour certain - presque "freudien" comme l'affirme l'un des personnages du film - que porte Woody Allen à New York, "Manhattan" en est sans aucun doute le manifeste le plus éloquent. Le plus beau aussi. Par le biais d'un magnifique noir et blanc rondement enrobé par la musique de George Gershwin, le réalisateur nous donne à voir un New York magnifié, fantasmé, enjolivé à l'image des premiers plans du film qui nous en mettent plein les yeux en nous balladant toujours plus profondément dans les tréfonds grouillants de bruits, de musique, d'individus, richesses triviales mais inestimables de celle que l'on nomme "Big Apple".
L'humour (cynique au possible) est de mise, comme à l'accoutumée, au service d'un script enrichi, ici, d'une dimension psychanalytique encore plus pregnante, plus développée, approfondie et maîtrisée que dans "Annie Hall", à croire que son passage par la "case Bergman" avec le chef d'oeuvre "Intérieurs" lui ait été grandement bénéfique. Au passage, Allen nous gratifie de séquences d'anthologie (celle du planétarium, par exemple, pour ne citer que celle-ci) prouvant encore une fois (comme si besoin était) qu'il possède ce talent indéniable d'observation très pointue des moeurs de ses contemporains, cette capacité de retranscription de ceux-ci à travers le prisme subjectif de ses problématiques récurrentes et ce, avec cette justesse de ton édifiante qui n'en finit pas de surprendre.
Mis en parallèle avec "Match point" qu'il réalisera 25 ans plus tard et qui reprend le personnage de la jeune actrice Tracy sous les traits, non pas de Mariel Hemmingway, mais de Scarlett Johansson, la mélancolie latente de "Manhattan" se teinte également, dans son ensemble, d'une amertume sourde, d'un pessimisme effrayant. Un très bel hommage, en définitive, à voir et à revoir sans modération.