MANHATTAN
Avec « Annie Hall », j’avais eu un coup de cœur direct du début à la fin du film. Le cas de « Manhattan », réalisé dans la même période, est un peu différent. Sur le moment, c’est un long-métrage très agréable, certes, mais moins extraordinaire que le précédent nommé. Par contre, avec le recul et les révisions, il ne cesse de se bonifier.
Ce qui le distingue des autres Woody Allen, c’est la déclaration d’amour porté à une ville, à sa ville, New York. Evidemment, cet amour transparait dans bon nombre d’opus alléniens, mais il semble atteindre ici son paroxysme. En témoigne la séquence d’ouverture, cultissime, où le réalisateur écrit et réécrit sans cesse un premier chapitre élogieux sur cette ville. La multiplicité des facettes de la ville transparait, et au final la déclaration d’amour reste inachevée, ce qui la rend encore plus puissante.
Rarement un cinéaste n’aura rendu un tel hommage à une ville. La photographie de Gordon Willis et la musique de George Gershwin méritent bien tous les éloges qu’elles ont reçues. Alors, à défaut d’être très original, je vais moi aussi vous dire que je rêve de visiter ce New-York en noir et blanc, d’avoir une conversation nocturne sous le pont de Queensboro ou de commettre un acte pervers interstellaire sur la lune du Planétarium ! Cette dernière scène est peut-être d’ailleurs la plus belle à mes yeux, avec les silhouettes de nos héros qui se confondent avec les étoiles.
Cette plus-value esthétique embellit un fond typiquement allénien, fait de personnages atypiques et névrosés : woody-yale qui sort avec une étudiante de 17 ans, son ex-femme l’a quitté pour une autre femme, son meilleur ami entretient une relation extra-conjugale. Le tout baigne dans une ambiance ironique réjouissante. Yale-Woody se livre à l’introspection et se montre à la fois hilarant, émouvant et angoissé.
Les dialogues sont toujours aussi inspirés, et les aphorismes mémorables sont légions ; souvenez-vous par exemple de « I’ll probably have to give my parents less money. They’re not gonna be able to get as good a seat in the synagogue. They’ll be in the back, away from God, far from the action. » ou bien de «You rely too much on the brain. The brain is the most overrated organ » !
Ces personnages nous font rire, et nous émeuvent aussi, de par leurs incapacités à saisir totalement le bonheur qu’ils recherchent, par leurs névroses à la fois ridicules et touchantes. On sent l’angoisse de la mort (scène du squelette dans la salle de classe) et de la solitude, du vide de l’existence. Et puis arrive cette dernière partie où super Woody trouve un chemin vers l’optimisme, avec cette scène inoubliable où il énumère toutes les choses qui valorisent la vie, et ce final incroyablement touchant où Mariel Hemingway arrive à le convaincre de « croire un peu plus en l’homme ». Je ne suis pas sûr que Woody Allen acteur ait jamais été plus touchant que dans ce final.
Au final, les personnages se cherchent, se perdent et se trouvent peut être parfois, à la fois dans la gigantesque New York et en eux-mêmes. Et il devient difficile de résister au désir de les accompagner, au risque de se perdre avec eux. New York was his town, and always will be.