"Amistad" pourrait être un film sur l’esclavage d’un classicisme assommant, et il en a à vrai dire toutes les apparences, et pourtant, il possède une aura tout à fait particulière qui le place à des lieues des préjugés qu’on pourrait avoir contre lui. En effet, si le film n’a pas le dynamisme habituel des long-métrages de Steven Spielberg et qu’il représente surtout des scènes en huis clos et de longs monologues peut-être surécrits, il bénéficie d’un choix musical assez extraordinaire, dans le sens où la musique aérienne de John Williams parvient à rendre léger ce qui aurait pu être très pesant mais surtout à conférer à l’ensemble une atmosphère biblique assez admirable. Ainsi, les échanges verbaux ou l’attente des corps enfermés deviennent des moments de grâce dans lesquels se conjuguent espérances en l’avenir et réminiscences des horreurs passées. Le ton est lugubre, mais l’espoir et l’empathie sont constamment présents. À vrai dire, j’ai beaucoup de mal à rattacher ce film à quelque chose de connu. À certains moments, on pourrait croire à un simple docu-fiction télévisuel, puis on est transporté à des années-lumière de ce carcan dès la minute suivante. C’est un film hors du temps, qu’on pourrait croire daté mais qui ne peut l’être tant il est difficile de deviner l’époque de sa production en le visionnant. Dès le début, les dialogues sont en mendé ou en espagnol, mais non traduits, si bien que la compréhension ne peut se faire que par les expressions du visages, les attitudes corporelles, etc. "Amistad" est d’ailleurs un film sur le corps, puisqu’il est souvent magnifié, que ce soit par le cadrage, la musique ou la photographie, et qu’il est le seul moyen d’échange entre deux cultures opposées. Le choc entre les civilisations, qui se manifeste dans les tentatives de dialogues en prison, montre à chaque fois un échec, jusqu’à ce qu’un traducteur intervienne. Là, ce qui n’était qu’implicite se dévoile. En effet, il y avait dans la seule présence des esclaves en terres occidentales un décalage qui faisait surgir un éventail de souvenirs tacites lié à leur passé. Ces hommes étaient ainsi dotés d’une histoire, sans qu’il y ait besoin de l’énoncer. Dès lors, le récit de Cinque, qui narre ses exploits africains, devient immédiatement visible à l’esprit, adoptant une force probablement plus évidente que si Spielberg s’était contenté de mettre cette aventure en image. De même, l’histoire de la Bible tels que l’imaginent les Mendé s’impose autant que la représentation que pourrait en faire un Cecil B. DeMille. En cela, le flashback montrant les événements ayant mené à la captivité va un peu à l’encontre de ce parti, même s’il permet des images fortes.
Finalement, sans être le meilleur Spielberg, "Amistad" est un film un peu à part dans sa filmographie, pris en étau entre académisme et audace mais assez dense pour être digne d’intérêt.