Version Redux :
Plus je découvre la filmographie de Wong Kar-Wai, plus je tombe amoureux de son cinéma, lui qui sait sublimer un simple scénario en grande envolée lyrique. Les Cendres du Temps demeure sa seule tentative dans le genre du Wu Xia Pian, devenant même un film maudit face aux nombreuses versions, pas toujours approuvées par le cinéaste, qui sont sorties au fil des années.
Ici, il y a une vraie occasion de donner une nouvelle vie à cette oeuvre, et je dois bien avouer que j'ai du m'y prendre à deux fois, la première vision m'ayant un peu perdue bien qu'intriguée, je l'ai très vite revu pour mieux en comprendre et assimiler l'ampleur.
Ici, Wong Kar-Wai brasse de nombreuses thématiques récurrentes à son cinéma, à l'image du temps qui passe, les manquements et regrets liés au passé, le souvenir ou encore l'évolution dans la vie, et de manière générale la vie elle-même. Tout cela, il le lie et le met en scène par le prisme d'un homme, toujours bouleversé par la mort de la femme qu'il aimait et étant devenu froid, cynique et solitaire.
Alors, tout n'est pas parfait, à commencer par un scénario parfois un peu confus, mais étrangement ce n'est pas vraiment préjudiciable tant j'ai pu être emporté dans un tourbillon romanesque et épique. L'oeuvre est belle et forte, on s'imprègne de sa mélancolie pour y suivre un homme blessé qui va se rendre compte de ce qu'il est devenu et Wong Kar-Wai démontre une vraie maîtrise de la caméra, filmant cette histoire comme Leone le faisait avec ses westerns, sachant être contemplatif sans être ennuyant, tant on est happé par l'atmosphère poétique.
C'est notamment dans les personnages que Les Cendres du Temps va puiser ses forces, c'est par eux que les émotions et propos passent, notamment sur les dégâts ou bienfait du temps mais aussi les blessures intérieures, les plaies qui ne cicatrisent jamais vraiment, comme le symbolise le protagoniste. Ici, les personnages passent, apparaissent, meurent, c'est le fruit du temps, et Wong Kar-Wai parvient à en tirer une forte mélancolie et une réflexion sur l'humain, son rapport avec le temps et la recherche d'un bonheur qui pourra toujours s'enfuir.
Les images sont superbes, et collent à merveille avec les propos et personnages, la maîtrise visuelle est bluffante, à l'image des jeux d'ombres et des décors. L'intrigue met du temps à se mettre en place et se développer, on a le temps de s'immerger dans l'oeuvre, tandis qu'il montre qu'il est aussi doué pour filmer des combats, mais aussi l'atmosphère précédents ceux-ci. Wong Kar-Wai sublime à nouveau ses acteurs, il sait filmer les comédiens, notamment les femmes, dont l'émotion passe parfois juste par un regard.
Chaque grand cinéaste semble avoir son film maudit, pour Wong Kar-Wai ce sera Les Cendres du Temps et c'est bien dommage tant l'oeuvre se révèle belle, forte, poétique et passionnante, notamment dans ses rapports aux temps et à l'humain.