Très bon film d'Alfred Hitchcock, adaptant le roman éponyme de Robert Bloch. Déroutante, cultissime «comédie horrifique» selon le mot de son réalisateur, dont l'objet n'est pas autre chose qu'une psychose, oui ma bonne dame. Déroutante évidemment, parce que l'héroïne du premier tiers du film, Marion Crane (Janet Leigh), secrétaire à qui son patron confie 40000 dollars pour qu'elle les dépose à la banque, décide de s'enfuir avec le magot, tentée qu'elle est de débuter une nouvelle vie avec son amant Sam Loomis (John Gavis), lui-même coincé entre son petit commerce et la pension alimentaire qu'il doit à son ex-femme... Déroutante parce que toute cette première partie de film accorde la "psychose" à Marion, qui agit impulsivement, et décolle peu à peu sa vie, comme une pellicule de passion et d'effervescence mêlées, de la réalité et des risques qu'elle implique (responsabilité du vol...). Déroutante enfin parce que Marion, déroutée par l'intérêt de policiers et bien davantage (au sens propre cette fois) par la nuit pluvieuse, échoue dans un petit motel, tenu par le charmant Norman Bates (Anthony Perkins), motel où elle se fait assassiner dans la scène peut-être la plus connue du cinéma, sous la douche, avec la dizaine de coups de poignard qui passent à côté du corps, diront les mauvaises langues, mais surtout sous la musique magique de Hermann, pas loin de la perfection, faisant crier les cordes dans un thème haletant... Une héroïne assassinée avant même la moitié du film, c'est tout de même très fort, et le but d'Hitchcock est atteint de la meilleure des façons : c'est le spectateur qui perd le fil du film, de sa «réalité», c'est le spectateur qui psychotise à son niveau et ne sait plus bien à quel point fixe de l'intrigue il peut désormais se rattacher. Le meurtre sous la douche a cette vertu de diffracter ou plutôt de dédoubler, de décupler la psychose que l'on attribuait faussement à Marion : la psychose appartient dorénavant à la mère de Norman, tueuse folle, mais aussi au spectateur, qui sent l'architecture du film s'écrouler, et le sol glisser sous lui ou lui échapper.
La suite du film se présente alors comme une enquête pour retrouver Marion et l'argent dérobé. L'amant, Sam, la soeur de Marion, Lila (Vera Miles), et le détective privé Arbogast (Martin Balsam), suspectent rapidement le motel de Norman Bates, et la maison assez sordide, en retrait du motel, logeant Bates et sa mère. Mère somme toute mystérieuse dont on connaît à ce moment très peu de choses : une silhouette aperçue dans la scène de la douche, queue de cheval grisonnante, puis une silhouette lointainement aperçue d'elle à sa fenêtre, et enfin une voix, proférant des remontrances envers Norman et son attirance supposée pour Marion. Pourtant cette mère fantomatique en même temps que monstrueuse, et par le truchement du même couteau de boucher que sous la douche, vient à assassiner Arbogast dans une scène culte (là encore) dans l'escalier (Hitchock ayant d'abord filmé l'escalier, puis rajouté par-dessus Martin Balsam agitant ses bras... Simple mais assez troublant d'efficacité...). Bon, l'éthique voudrait que je ne dévoile pas la fin, mais enfin l'éthique aujourd'hui... Donc attention je "spoile", comme on dit si joliment... L'intérêt de Psychose se joue dans un renversement assez terrifiant, qui voit la mère de Norman être Norman, au sens d'une projection, d'une hallucination désirée, d'une création, d'un dédoublement de personnalité, que sais-je (au passage, tous les éléments du film reposant sur l'équivocité inhérente à l'intrigue, à savoir l'existence de la mère ou non, sont tous parfaits, à part peut-être la séquence de l'assassinat du détective, où l'on voit Norman s'éloigner pendant qu'Arbogast s'immisce dans la maison). La fin est quand même surprenante voire déroutante, à condition bien sûr que l'on ne soit pas auparavant spoilé sur des blogs infâmes.
un frottement, d'ailleurs bien présent à travers le film, avec le bon vieux complexe d'Oedipe, mais en plus abouti, presque en plus "cérébral" : Norman tue l'amant de sa mère pour la posséder seul, mais il franchit un pas supplémentaire en tuant sa mère et en la recréant mentalement, pour la posséder totalement, absolument, et même pour ne devenir finalement qu'elle en s'anéantissant comme Norman (cf la séquence finale où Norman n'est plus, où Norman disparaît pour laisser place à une vieille femme et rien qu'une vieille femme)). Enfin, sur Psychose lui-même, comme une mise en abyme, qui convient aussi bien à Marion, qu'à Norman, et qu'au spectateur qui s'est laissé duper par l'existence de la mère : «nous nous prenons à notre propre piège, et une fois que nous sommes pris, nous ne pouvons pas nous en dégager. Nous nous débattons, nous nous agitons, mais ce n'est qu'une apparence, en réalité nous faisons semblant de vouloir nous en échapper».
La critique complète sur le Tching's Ciné bien sûr (note finale : 17/20) :
http://tchingscine.over-blog.com/